Le Point.fr - Publié le 14/02/2012 à 15:00
Le politologue grec Georges Contogeorgis explique au Point.fr pourquoi les manifestants ont sombré dans la violence.
Plus de 120 personnes ont été blessées et 45 bâtiments endommagés après la nuit d'émeutes à Athènes. © Louisa Gouliamaki / AFP
De véritables scènes de guérilla urbaine. À l'annonce de l'adoption par le Parlement du troisième plan d'austérité, ce sont 100 000 Grecs qui se sont précipités dans les rues du pays pour en découdre avec les forces de l'ordre. Le bilan est lourd : plus de 120 blessés et 45 bâtiments endommagés à Athènes. Professeur de sciences politiques à l'université Panteïon d'Athènes, Georges Contogeorgis explique au Point.fr pourquoi la Grèce risque de ne pas sortir de l'impasse.
Le Point.fr : Que traduisent les violences sans précédent qui ont été observées dimanche soir ?
Georges Contogeorgis : Les manifestants ont le sentiment qu'on leur impose un plan d'austérité totalement injuste et antidémocratique. En effet, la Constitution est violée. D'ailleurs, la troïka au pouvoir déclare expressément qu'elle n'est pas intéressée par ce qui est prévu par la Constitution. Ce que l'Europe ne comprend pas, c'est que la crise grecque n'est pas la conséquence de la crise des marchés européens. Bien au contraire, l'économie grecque n'a été que peu exposée à la crise. Au fond, c'est l'État grec, qui est entièrement responsable de la crise : un État converti en partitocratie qui se comporte en dynaste.
Que voulez-vous dire par là ?
Depuis le début de la crise, on met la société grecque face à un dilemme : la faillite ou les plans d'austérité. Mais ce n'est pas la bonne question. Tout d'abord, parce que la société grecque est déjà en faillite, vous n'avez qu'à demander aux 50 % de jeunes au chômage. D'autre part, parce que cette violente redistribution des ressources profite aux mêmes personnes, qui tiraient profit du système avant la crise du système politique. On envisage la crise sous l'angle du drogué : on lui assure la dose, mais on ne fait rien pour sa thérapie.
Qui visez-vous ?
La classe politique grecque, qui se comporte comme une véritable oligarchie pillant la société. La fraude fiscale est encore plus présente qu'auparavant. Le problème, ce n'est pas que les politiques ne peuvent pas, mais plutôt qu'ils ne veulent pas réduire les dépenses de l'État. Lorsque la société au chômage demande à la classe politique de réduire les ressources qu'elle reçoit de l'État, celle-ci refuse en invoquant une "mesure populiste".
Le gouvernement grec a pourtant été remanié...
Ce n'est pas une question de gouvernement, mais de système. Quiconque arrive au pouvoir ne peut agir différemment, sous peine d'être mis à la porte. L'État a réussi à démanteler la collectivité sociale : on peut parler d'État d'occupation. La classe politique grecque ignore ce qui est le bien public, la société - au sens de collectivité - constitue son ennemie potentielle.
Le plan d'aide européen de 130 milliards d'euros n'est-il pas accueilli favorablement ?
Tout d'abord, il faut préciser que la philosophie du plan d'austérité souffre de finalité. Il confond dévaluation des salaires et des retraites et dévaluation de la monnaie nationale. Ainsi, il ne vise pas la dette, mais l'appauvrissement de la société ainsi que la destruction du fonds productif de l'économie. En fermant le marché intérieur de la Grèce, on prive le pays de toute possibilité de rembourser sa dette. En voulant améliorer la compétitivité par l'appauvrissement de la société, on sert les intérêts des marchés, pas ceux de la société.
Le FMI et l'Union européenne se démènent pourtant pour sauver la Grèce...
Le problème pour la société grecque n'est pas le Fonds monétaire international, ni l'Union européenne. C'est la classe politique grecque qui est visée. Il s'agit pour la population de montrer que l'argent prêté à la Grèce ne bénéficiera pas à la prospérité de la société. Rien n'a été fait contre la fraude fiscale, contre la corruption, contre les politiques pillards de la partitocratie.C'est donc une nouvelle fois la société qui va payer pour le mauvais fonctionnement de l'État. La vraie question n'est donc pas de savoir si le pays va sortir de la crise, mais qui doit payer.
Le plan d'austérité est-il, selon vous, voué à l'échec ?
Cela va sans dire, car on n'a pas touché aux trois raisons principales de la crise : le comportement mafieux ainsi que les structures de la classe politique, l'administration et la loi. Tant que celles-ci ne seront pas changées, le pays ne pourra pas sortir de l'impasse, peu importe les plans d'austérité ou les baisses de salaire.
D'autres violences sont-elles à prévoir ?
Il est à craindre que la violence augmente, car la population souffre d'un sentiment profond d'injustice, qui n'est apaisé par aucune porte de sortie. On pourrait d'ailleurs assister à une recrudescence des incidents lorsque le gouvernement commencera à appliquer le plan d'austérité.
Comment interprétez-vous l'annonce d'élections législatives anticipées pour avril ?
Il semble clair que le gouvernement tente de calmer le jeu, mais on ne peut en espérer grand-chose. L'alternance au pouvoir n'apportera aucun changement. Aucun parti en Grèce, de la gauche radicale à l'extrême droite, ne touchera aux véritables causes de la crise grecque.
Que préconisez-vous ?
La suppression pure et simple du système et de l'État dynastique. Il serait relativement facile d'arrêter tous les auteurs de fraudes sociales par l'intermédiaire de leurs comptes bancaires. Mais le gouvernement n'en fera rien, l'ensemble de la classe politique grecque étant concerné. Il en va de même pour l'administration publique. Aujourd'hui, il est impossible d'obtenir ne serait-ce qu'un simple certificat si vous ne payez pas. Si rien n'est fait contre ces fléaux, la Grèce ne sortira pas de la crise, et les conséquences se ressentiront dans toute l'Europe. La société grecque est un mauvais champ expérimental. Toute son histoire moderne a auguré de ce qui allait arriver au reste du continent.
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