G. Contogeorgis, Grèce: pour en finir avec le système politique de la «modernité»
Publié au journal Mediapart, le 19 Avril 2011 [1]
La tournure dramatique à laquelle a abouti la crise en Grèce relève directement de sa singularité.
Dans le cas grec l’Etat est le premier responsable de la crise. L’économie grecque - banques comprises – ne s’implique dans la crise mondiale ni directement ni indirectement. L’Etat a fait déferler la crise dans le pays, l’a exhibée sur la scène internationale (et européenne), l’a changée en « jouet » mais, par-dessus tout, a fait en sorte qu’elle serve de « cobaye » pour l’évolution des autres crises dans le monde.
Le fait que l’on exhorte le système politique, instigateur de la crise, à sortir le pays de celle-ci constitue l’impasse où il est acculé. En effet, la classe politique n'a pas la légitimité indispensable, n’y trouve aucun intérêt ni n’en a l’intention, puisque cela entrainerait la fin du régime par lequel elle a assis son hégémonie historiquement sur la société hellénique.
Pour bien comprendre le « problème grec » nous devons définir la singularité du système politique. Le système politique hellénique se particularise par l’appropriation profondément enracinée et la dégradation de l’appareil d’Etat par le personnel politique ainsi que les responsables des médiations et des interrelations. Elle se particularise également par l’instauration d’un rapport entre le social et le politique qui passe par la «décollectivisation » du tissu social ou, plus précisément, par l’assujettissement du citoyen au personnel politique. L’Etat néohellénique parasite la société hellénique dont il occupe et suce le socle traditionnel, culturel et historique comme une sorte de sangsue.
La notion de partitocratie constitue la constante du système politique hellénique et conditionne l’objectif des politiques de l’Etat. En partitocratie, la société n’est pas considérée comme raison d'être de l’Etat, mais comme le plus grand ennemi représentant une menace pour les acquis de la classe politique. Si bien que le coût politique résulte des réactions des « partenaires » du pouvoir ("corporations", groupes d’intérêts etc.) et non de l'"opinion commune".
Ceci explique pourquoi la sortie de la crise représente aujourd’hui avant tout un enjeu d'alternance politique au lieu de se focaliser sur l’urgence à réduire la fracture du pays. Le dialogue politique se limite aux « pour » et aux « contre » le mémorandum au lieu d’en rechercher les causes. Une estimation des mesures prises à la suite du mémorandum – ou proposées par l’opposition – montre qu’elles ont toutes un pour objet soit l’encaissement de taxes en sens unique, destiné bien sur aux habituelles vaches à lait – les honnêtes contribuables – soit la transformation du travail des citoyens en marchandise. La reconstruction du système politique et de l’Etat ne figurent pas dans les programmes politiques de partis.
La question de la responsabilité politique et, plus précisément, de ses liens avec la Justice s’avère l’exemple le plus intéressant, et cette obstination à vouloir coute que coute conserver l’immunité totale pour tout le personnel politique nous renseigne sur l’adversaire. Et de qui la classe politique a-t-elle donc besoin de se protéger ? Évidemment de la société. A noter également que l’immunité ne concerne pas les politiques de l’Etat lesquelles se situent au-dessus de la Loi et sont intouchables. Le politique est capable d’anéantir le pays en « endossant » la responsabilité politique. Par contre, il ne se soumet pas à la Justice pas plus qu’il ne reconnaît être redevable au citoyen d’un intérêt légal pour les dommages qu’il a subis. C’est impressionnant cette façon qu’ont tous les partis politiques de préserver d’un commun accord l’intégrité du système ce qui entretient la relation difforme entre politique et société et l’atmosphère oppressante planant sur le pays.
Quelle peut être l’issue ? Je dois souligner qu’il est probablement « utopique » de s’attendre à ce que soit dépassée la partitocratie dynastique à l’initiative de la classe politique elle-même, puisqu’elle en est sa structure de base. Par conséquent, cela se fera par la contrainte, soit par l’effondrement total de ses recours de telle sorte que la conjoncture qui lui succèdera surgisse des cendres du pays.
La première version soulève la question de « qui se chargerait de la mutation de la classe politique » ? La seconde solution, outre le fait que le résultat n’est pas garanti d’avance puisqu’elle s’accompagne d’une démarche désespérée de la société, serait susceptible d’enfoncer le pays dans une impasse plus profonde. Dans tous les cas, la sortie de la crise en maintenant intégralement le système politique, augure d’une part de la perpétuation de l’occupation de l’Etat « intra-muros » à laquelle est pratiquement soumise la société hellénique avec son passage à l’Etat nation, et d’autre part de la déchéance irréversible du pays.
Ceci nous prouve que, au lieu de se cacher derrière le « mémorandum » (régime de tutelle à la merci duquel se trouve le pays), il faudrait prendre des mesures immédiates de renversement du régime de partitocratie dynastique dans lequel persiste la classe politique, en libérant la société du boulet auquel elle est enchainée.
Ce qui est urgent :
Ø La reconstruction du système politique en se fondant sur des critères d’instauration d’un équilibre institutionnel entre Etat et société, laquelle ne peut évidemment se réaliser sur un plan de dynamique politique, c’est-à-dire en dehors des institutions comme par le passé avec pour indice l’alternance des acteurs de la partitocratie au pouvoir. La litanie déontologique selon laquelle « la politique doit représenter la société » ne suffit pas non plus pour que fonctionne l’Etat en accord avec l’intérêt général. Désormais, la simulation représentative de la politeia s’avère indispensable, c’est-à-dire l’intégration institutionnelle de la société, ou au minimum la prise en compte des desiderata de la société dans le processus de prises de décisions politiques.
Ø Cette structure présuppose le contrôle du personnel politique par la société et, au-delà, l’abolition totale de l’immunité la création d'un lien immédiat entre la responsabilité politique et la Justice. Elle exige également la reconnaissance à chaque membre de la société des citoyens d’un intérêt légal contre le préjudice provoqué par les acteurs de la politique, de l’Administration et de la Justice.
Ø L’Etat de partitocratie estime que son rôle s’arrête là où il est censé commencer en réalité. C’est pour cette raison que l’application des lois ou son harmonisation avec l’intérêt général sont des notions inconnues. Cet État doit disparaitre immédiatement.
Ø Et enfin, il est urgent d’abolir incontinent toute la structure législative liberticide ayant transformé la société en vache à lait des interrelations et de la corruption. La corruption est basée sur la législation, et l’Etat partitocratique suit.
Nous en concluons que la solution au problème grec ne passe pas par l’alternance, encore moins par la dérivation des forces de l’actuelle partitocratie car à sa place, à moyen terme, s’installerait dès la résorption de la crise une nouvelle classe politique dynastique. La solution se trouve dans l’abrogation de l’Etat dynastique qui soutient la partitocratie, c’est-à-dire dans la mutation du rapport entre société et politique. Mutation qui peut se réaliser seulement en fonction de l’intégration de la volonté sociale dans la politeia (en fait le système politique). Cette mutation rétablira une relative harmonie du système politique -qui est de nature pré-représentatif- avec le développement politique de la société hellénique -dont la maturité correspond à un stade représentatif sinon démocratique-, hérité de son passé historique. Car, en dernière analyse, c'est cette incompatibilité qui est la cause de l'État partitocratique.
Par conséquent, tout ceci nous ramène à notre prise de conscience initiale: l’origine de la crise est sous-jacente à l’impasse où se trouve acculé le pays. Etant donné que les fondements de la partitocratie – et des forces de médiation et d’interrelations qui la soutiennent – sont profondément enracinées, la tutelle internationale se garde bien de mettre l’accent sur l’origine du problème grec. De ce point de vue, il est possible qu'elle renforce finalement la résistance contre la naissance du neuf.
[1] Publié au journal Eleftherotypia de Dimanche, le 6.3.2011. Traduit par Simone le Baron, http://simone-le-baron.blogspot.com/2011/03/le-systeme-politique-alimente-le.html#links
4 σχόλια:
Comment dit-on "dégage" en grec ?
et dans le même temps refuser de payer la dette colossale !! que feraient les partitocrates !
19/04/2011 19:14Par liliane.pecheux@free.fr
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Petite question ...
Etes-vous sur que cette article ne concerne que le Grèce ?
19/04/2011 19:42Par TakuanSoho
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Merci de rejoindre l'analyse de S.Royal sur l'imposture de la "partitocratie" et sur sa volonté de refonder la particiption de la socièté dans le processus politique .
. Il faudra bien arriver à ce que la population parvienne à s'occuper de la gestion de ses affaires et qu'elle puisse avoir accès à l'information nécessaire pour la prise de décisions d'intérêt général et public .
19/04/2011 21:34Par laser
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Pourquoi vous ne mentionnez pas Debtocracy ? Voir mon billet sur ce sujethttp://blogs.mediapart.fr/blog/koszayr/190411/le-combat-des-grecs-contre-la-finance-internationale-debtocracy
19/04/2011 21:53Par KOSZAYR
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*** Voir l'excellent billet de Koszayr:
http://blogs.mediapart.fr/blog/koszayr/190411/le-combat-des-grecs-contre-la-finance-internationale-debtocracy
19/04/2011 23:16Par Capucine M
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Pourquoi est-il impossible d'accéder à la page de Mediapart mentionnée dans les deux commentaires précédents ?
20/04/2011 01:05Par gerin.dominique@orange.fr
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Est-ce que ça va mieux comme ça, avec ce lien?
20/04/2011 02:38Par Dominique Couturier
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Bon, apparemment c'est Drupal qui merdouille.... alors il faut cliquer sur le pseudo de
KOSZAYR puis chercher dans ses billets, dont celui cité, qui est bien en ligne.
20/04/2011 02:41Par Dominique Couturier
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Non, ça non plus ça ne va pas, il faut cliquer sur le pseudo DANS son commentaire... Scrongneugneu!
20/04/2011 02:42Par Dominique Couturier
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L'auteur semble faire de la situation en Grèce une spécificité européenne. Je suis formellement convaincu qu'il n'en est rien et que tout ce qu'il décrit, concernant ce pays, s'applique à tous les autres pays de l'UE. Cette partitocratie sévit partout et on le voit avec Sarkozy qui s'emploie depuis 2007 à détruire méthodiquement notre secteur public.
Ce processus généralisé de destruction de l'appareil d'Etat découle d'une volonté politique d'inspiration purement libérale parfaitement exprimée par l'appel de R. Reagan accusant l'Etat d'être le problème.
20/04/2011 07:13Par Adrien Labayrade
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magnifique réflexion qui s'applique bien sur et complètement à notre pays, en effet plus que les secrets d'alcôves d'un Mitterand ou les détourements diamantaires d'un Giscard il ya eu cette extraordinaire révolution que fût sous Chirac l'impunité instituée légalementpour le haur personnel politique. Je veux dire impunité "judiciaire" mais aussi l'impunité "éthique" qui autorise des Fabius (Rainbow-warrior, sang contaminé) Juppé (prison avec sursis et illégibilité), Pasqua (on n'en parle pas!), Cresson (et son dentiste), Longuet (et son copain Léo...) etc...etc...à réapparaître comme dans une sinistre comédie... Au fait combien ce matin de viols sur mineures par des récidivistes ou d'adolescents voleur de motocyclettes? Vite de l'info, de la vraie, de l'utile de la vie quoi!
20/04/2011 09:16Par Jean-Claude BIDAULT
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Je ne comprends pas pourquoi vous n'arrivez pas à accéder à mon billet; je viens d'y aller sans problème.Voir ce lien :
DETTE : LE MESSAGE DE L'ISLANDE AU PORTUGAL — Nick Dearden
20/04/2011 22:33Par KOSZAYR
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George Contogeorgis soulève en fait la question
de la gouvernance mondiale actuelle du point de vue de l'intérêt
général.
Il écrit que "La solution se trouve dans
l'abrogation de l'Etat dynastique qui soutient la «partitocratie»,
c'est-à-dire dans la mutation du rapport entre société et
politique."
Je pense que cette mutation passe par la mise en
place d'une gouvernance à l'échelle mondiale qui ne se fonde pas
sur les états-nations et qui de ce fait n'impose pas de mettre au
premier plan la gestion de leurs rapports de force.
Je pense qu'elle passe aussi par la compétition
des idées et par la logique de gestion désétatisée ("abrogation
de l'Etat dynastique") que cette compétition induit à
l'échelle mondiale.
Cette logique gestionnaire désétatisée n'a rien
de nouveau puisqu'on l'a vue apparaitre au 19e siècle en tant que
système de gestion idéalisé et concurrentiel (internationalisme,
anarchisme, etc...) au même moment que la constitution des
états-nations et que la mondialisation des affaires par la
colonisation et les migrations.
De plus, l'efficacité contemporaine de la
désétatisation que permet l'échelle mondiale nous est très
précisément démontrée par les techniques mondiales de
défiscalisation qui consistent à mettre en place un parcours
interétatique optimal des bénéfices afin d'en réduire à néant
l'imposition. J'ai en tête notamment le parcours interétatique mis
en place par Google en 2010. (Si quelqu'un peut me communiquer des
liens sur de tels parcours, merci d'avance).
Dit autrement, la compétition idéologique est à
mes yeux le meilleur moteur de la mutation évoquée par George
Contogeorgis, car elle permet de développer des rapports de force
sur la question universelle de la redistribution aussi bien à
l'échelle locale qu'à celle d'une gestion mondiale désétatisée.
Et on a une expérience historique de ces rapports de force et un
merveilleux (je blague) modèle contemporain des bonnes pratiques
"d'abrogation de l'Etat dynastique" pour d'autres finalités
que le bien public. A nous de nous servir de tout cela pour les
finalités qui nous intéressent.
20/04/2011 15:10Par jdg
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George Contogeorgis nous a fait parvenir cette réponse à votre commentaire. Bien à vous.
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«Je soulève en effet la question de "l'État dynastique" non pour venter "une gouvernance à l'échelle mondiale qui ne se fond pas sur les États nations" mais pour montrer combien est nécessaire la mise en place d'un système politique relativement représentatif.
Je considère que l'identification absolue du système politique avec l'État est à la fois dépassée par le progrès de l'idée de liberté au sein des nos sociétés et la cause du renversement de l'équilibre relatif établit dans le passé entre l'économie -, devenue désormais autonome vis-à-vis de l'État- , celui- ci et la société. La solution ne se trouve donc ni à l'anarchie ni à l'internationalisme, qu'il soit du 19ème ou du 21ème siècle; on est loin même d'un cosmoÉtat qui aurai pu contrôlé ce qui dépasse l'État.
Il faut commencer par la rédéfinition de nos concepts fondamentaux, tels que la liberté, la démocratie, la représentation, l'État, la nation, le statocentrisme, voire de l'ensemble de la gnoséologie sur laquelle s'est appuyer la modernité, afin de saisir la nature de notre temps et le sens du progrès. Prendre conscience qu'on ne vit pas à la démocratie ou à la représentation; que la représentation n'est pas la démocratie; que le système politique n'est pas l'État, qu'il lui appartient exactement parce que nos sociétés n'étaient pas encore mures pour soutenir un projet de liberté propre à la représentation ou à la démocratie; que la dite "démocratie indirecte" correspond à un système politique qui n'est nullement représentatif.
Or, je ne propose pas la "désétatisation" de la nation, mais le contraire: la restitution d'une partie du système politique à la société des citoyens (de celle qui est liée à la qualité du mandant) afin de contrebalancer, par la voie politique, le poids extraordinaire du marché.
C'est dans l'État -dans le cadre de la société étatique- que le jeux politique va se jouer pour que la raison d'être aussi bien de l'État que du marché, c'est à dire la société des citoyens, puisse ramener le but de la politique à l'intérêt commun. L'international est un "ordre" régis par le rapport des forces, c'est uniquement le "national" qui par le moyen du système politique peut soumettre la puissance à la règle du social. Il faut pour cela que l'identité collective soit en mesure de se servir comme la force motrice de la cohésion sociale et de la formation d'une idée de "bien public" adéquate.»
25/04/2011 15:07Par Stéphane Alliès
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