Georges Contogeorgis
La Dictature militaire en Grèce (1967-1974)
Questions d’approche du phénomène autoritaire
1. Introduction
Le régime autoritaire en Grèce soulève une question générale qui est liée à la fois à la nature de la société grecque et au contenu des évolutions de notre époque. En ce sens, la compréhension du phénomène présuppose que l’on réponde à la question de la place qu’il occupe dans le système politique grec en général, et au-delà, à celle de sa relation avec les régimes analogues ou les totalitarismes de l’entre-deux-guerres et de la péninsule Ibérique.
L’hypothèse de travail de base est qu’en Grèce, le régime autoritaire constitue dans le système politique une parenthèse qui n’est pas conforme à sa propre nature, et plus précisément un symptôme exogène résultant de la non-harmonisation de la société grecque avec le déficit démocratique des facteurs de la Guerre froide. Contrairement à la Dictature en Grèce, les régimes autoritaires de la péninsule Ibérique sont un prolongement et, en un autre sens, un résidu des totalitarismes de l’entre-deux-guerres.
2. Le régime autoritaire et la société civile. La société comme non-paramètre du système politique
Le schéma interprétatif qui entreprend d’étudier le phénomène autoritaire à notre époque focalise son attention sur l’indicateur de la société civile, c’est-à-dire sur le degré de présence des intérêts organisés de la société au sein de la dynamique politique. Cette hypothèse convient que le phénomène autoritaire va de pair avec le fait que les coordonnées socio-politiques qui découlent fondamentalement de l’économie n’ont pas le développement suffisant pour rendre sensible leur présence, en tant que groupes de pression, sur le terrain du pouvoir politique, en imposant leur partenariat à ce dernier[1].
Ce schéma sous-entend que l’on admette deux choses : premièrement, la propension naturelle du pouvoir étatique à concentrer une force de plus en plus grande, au point que la ligne de démarcation entre légalité et illégalité devienne souvent difficile à discerner ; en second lieu, l’absence naturelle de la société en soi en tant que facteur du processus politique, que la modernité situe consciemment dans la sphère privée.
Dans le même temps, est absent de ce schéma le paramètre de la nature du système politique, et en particulier le fait qu’il en émane un déséquilibre clair entre le détenteur de la compétence politique et la société privée, qu’est appelé à rétablir au premier degré de médiation le parti, et au second degré la société civile. Au fond, le système politique de la modernité n’est pas représentatif. La représentation ne constitue pas une fonction intra-systémique, ne s’ensuit pas à titre de paramètre organique du système politique. Il s’agit essentiellement d’une option qui part de l’idée que la société – et au-delà de celle-ci ses paramètres constitutifs – n’est pas assez développée pour être incluse dans le processus politique.
Nombreuses sont les soupapes pragmatologiques et surtout institutionnelles qui confirment le caractère fondamentalement non représentatif du système politique, et par extension, l’autonomie garantie du pouvoir politique. Je me limiterai toutefois à deux d’entre elles, essentielles : la première concerne la finalité politique, qui se concentre sur l’intérêt «général» ou «national» ou «public / de l’État», mais non sur l’intérêt social immédiat, qui obligerait le pouvoir politique à rencontrer sur le plan institutionnel le corps social. Et inversement, ce but ne légitime pas le corps social ou le citoyen à contrôler la politique. Je ne me réfère pas ici à la possibilité du discours critique issu de la liberté individuelle, mais au droit institutionnel que contient le principe représentatif selon lequel le mandant détermine le contenu de l’action politique, oblige le détenteur de la politique à s’harmoniser à sa volonté, le convoque, lui demande des comptes pour les opérations nuisibles ou pour les omissions commises, et enfin le révoque. La direction politique, en tant que possesseur de la compétence politique universelle, est au-dessus de la loi, incarne la loi, est «la loi en soi». C’est pourquoi le contenu de sa politique n’est pas soumis à la justice et, en un autre sens, sa vie privée bénéficie de l’immunité[2].
Il est manifeste que cette prévoyance contribue à ce que le système politique de la modernité préserve globalement le caractère clos du pouvoir politique et son autorité au fond sans limites. Cela explique la raison pour laquelle la finalité politique – la nation par exemple – invoquée par ledit système parlementaire a été la référence préférée de tous les régimes autoritaires, des totalitarismes de l’entre-deux-guerres à ceux de la Guerre froide et de l’époque moderne. En ce sens, la discussion sur les soupapes de sûreté qu’ils veillent à maintenir pour empêcher le changement trop facile des fondements du système politique (les clauses de la Constitution, par exemple) concerne autant les risques de déviation autoritaire éventuelle que, surtout, la perspective de mutation de celle-ci en système représentatif.
La seconde soupape qui garantit la nature non représentative du système politique de la modernité est en soi l’appropriation de la qualité de mandant par l’État. Le fait est que la dichotomie entre société et politique que la modernité introduit en guise de dogme, et avec elle, le principe du partage des tâches socio-politiques (la division du travail, etc.), considère comme littéralement injustifiable la séparation des qualités de mandant et de mandataire. L’attribution de la qualité de mandant à la société brise donc le dogme politique fondamental de la modernité[3]. Le mandataire, c’est-à-dire l’État, possède aussi entièrement la qualité de mandant et, en cela, incarne le système politique, c’est-à-dire l’ensemble du processus politique. Les réglementations internes, comme le principe de la séparation des pouvoirs, confirment précisément ce dogme, bien qu’à la lumière des évolutions du XXe siècle – en particulier l’homogénéisation anthropocentrique de la société, l’octroi universel du droit de vote, etc. –, leur importance ait été matériellement amoindrie puisque le détenteur de la majorité aux élections contrôle en principe de manière indivisible le pouvoir étatique.
Le fait que la qualité de mandant ne soit pas attribuée à la société entraîne donc que cette dernière ne rencontre pas la politique sur le plan institutionnel. Le corps social des citoyens n’est vis-à-vis du pouvoir politique ni le représenté – c’est-à-dire le bénéficiaire du but de la politique – ni a fortiori une partie constitutive du système politique. En tant que société à caractère privé, il n’a pas non plus la compétence de préciser le contenu du but non social de la politique (par exemple, le contenu de l’intérêt «national»). Ce qui est intérêt «national», «général» ou «public», c’est le détenteur de la compétence politique universelle qui en décide par voie d’autorité en premier et en dernier ressort. En face de l’autorité du détenteur du pouvoir politique de l’État, la volonté de la société, du fait qu’elle jouit d’un statut privé, est jugée intéressée, égoïste et en tout cas irresponsable et insuffisante.
La conséquence de la nature non représentative de l’État – du système politique – est, comme suggéré plus haut, la constitution non politéienne de la société. Celle-ci, en tant que «personne privée», n’est ni sujet ni facteur du système politique. De même que toute formation sociale, pour exister dans un cadre social plus large, doit se constituer en «corps» (en un groupe de pression, par exemple), de même la société, pour fonctionner politiquement, doit se transformer en démos. Le démos définit la société constituée sur le plan politéien avec un objet précis qui équivaut au moins à la qualité de mandant.
L’entrée de la société sur l’agora politique par sa mutation en démos aura en tout état de cause des effets annulatifs pour le dogme fondamental de la modernité, c’est-à-dire la dichotomie entre société et politique. Ce qui poserait enfin sur de nouvelles bases la problématique de la contradiction entre autoritarisme et «représentation».
Cette nature du système politique moderne ne doit pas être attribuée à des intentions invisibles des forces sociales et politiques qui le font fonctionner. La représentation – le transfert de la qualité de mandant vers la société – n’est pas de nos jours un postulat. En cela, elle reflète de manière directe la phase cosmosystémique que traverse l’époque moderne, c’est-à-dire la construction anthropocentrique qui a fait suite à la féodalité. D’ailleurs, la généralisation de la qualité élémentaire de citoyen[4] n’a eu lieu qu’au cours du XXe siècle, par l’attribution à l’individu, membre de la société de l’État, du droit de vote.
Pour l’heure, ni les conditions pragmatologiques ni, par conséquent, la société ne sont mûres pour soutenir un projet politique différent. Les priorités de la société se concentrent sur le problème fondamental, le problème socio-économique (la question du travail, de la liberté individuelle, de la propriété, etc.), qui se trouve encore en suspens. La politique n’est qu’un moyen – Karl Marx l’a qualifiée de superstructure –, c’est-à-dire une composante opérationnelle pour atteindre le but social et économique.
Par voie de conséquence, dans la mesure où la rencontre de la société avec la politique a lieu extra-institutionnellement, par l’entremise des forces intermédiaires (partis, syndicats, etc.) et avec pour projet la question sociale, le poids de la légitimation électorale du personnel politique ne se présente pas toujours comme un sujet de priorité. La Révolution et la prise «putschiste» du pouvoir ont été et sont encore à un degré moindre des modes légitimes de réalisation du projet idéologique, du but social.
La crise du parlementarisme dans l’entre-deux-guerres et l’écho des idéologies totalitaires confirment précisément ce stade anthropocentrique primaire. Un stade qui se caractérise par les fluctuations de la constitution sociale, par la non-émancipation globale de l’individu dans les nouveaux rôles que lui réserve l’époque moderne et par l’importance fondamentale du vote, pour le contrôle duquel les forces politiques se battent. Il n’est donc pas fortuit que la notion de politisation – et, en un certain sens, de participation politique – ait été constamment liée jusqu’à nos jours à l’adhésion grégaire ou massive du citoyen au parti, au syndicat, etc., à titre de partisan ; elle a été une question statistique et non pas mise en rapport avec le temps réel qu’il passait à s’occuper de politique. L’individualité sociale, qui va de pair avec la liberté individuelle, n’a pas son équivalent en politique. L’individualité politique brille par son absence.
Ces considérations permettent de comprendre pourquoi le phénomène autoritaire se rencontre précisément dans la période de l’entre-deux-guerres et de la Guerre froide, et non aux époques antérieures, et qu’il s’éloigne en outre de l’Europe au fur et à mesure que l’on approche de la fin du XXe siècle.
L’absence effective de la société du champ de la politique explique la raison pour laquelle la problématique sur le régime autoritaire l’inscrit plutôt dans les composantes virtuellement bénéfiques de celui-ci, avec en face la société civile. L’entrée en jeu de la société civile en tant que facteur du système politique a été directement liée avec le développement global de la société, et en particulier avec le développement de son paramètre économique. Les forces de la société civile sont avant tout les forces de l’économie qui revendiquent la parole dans la politique et, naturellement, une part au processus de prise de décisions du pouvoir. Plus l’économie d’un pays semble développée, plus la société civile devient forte, et sa part à la politique, importante. Le concept de développement politique est lié impérativement au développement des composantes de la société civile et non pas de la société en tant que telle.
Ainsi le développement de ce second degré de médiation que promet la société civile limite-t-il l’autonomie effective du pouvoir politique et amoindrit en proportion la possibilité des forces politiques d’invoquer, dans leur rencontre avec la société et ses besoins, le laïcisme. Dans ce cadre, la problématique de la «représentation» est transférée du champ de l’idéologie et du militantisme partisan à celui de la rencontre des groupes d’intérêts et du pouvoir politique.
Il n’est pas lieu de discuter ici des retombées de cette transition[5]. Soulignons cependant que la société continue à être envisagée comme sujet de médiation et non comme facteur du système politique et en tout cas comme une composante anti-autoritaire.
Les remarques qui précèdent expliquent, à notre avis, la raison pour laquelle, pour juger du degré d’exposition d’un pays à l’autoritarisme (ou à la démocratie), la science sociale moderne doit avoir pour aune son développement économique et donc le développement de la société civile[6], et non la société elle-même. En l’occurrence, la notion de développement se concentre sur le temps présent et est rendue par le schéma centre (développement) – périphérie (sous-développement). Est donc absent de ce schéma un critère plus large reliant le statut des sociétés au développement global du cosmosystème anthropocentrique[7].
Dans ce schéma, la Grèce, de même que l’Espagne et le Portugal, appartient, selon la science sociale moderne, au Sud, qui s’inscrit comme semi-périphérie, à peu près comme l’Amérique latine. Dans la semi-périphérie, les sociétés civiles sont faibles[8] et c’est la raison pour laquelle ces pays sont exposés à l’autoritarisme. Ce schéma explique, en d’autres termes, l’incapacité des pays de la semi-périphérie à entrer dans le cercle de la «démocratie», comme le font par exemple les pays du Nord[9].
Il est toutefois rappelé que même dans ces pays, la «démocratie» est vidée du corps social et bien entendu de tout contenu représentatif. Mais ces paramètres ne sont pas jugés importants pour l’examen de la nature du système politique.
3. Le régime autoritaire et le système international
L’autre paramètre significatif qui est absent de l’approche du phénomène autoritaire est le paramètre extérieur. La science politique s’est fixé pour objet primordial l’État, et a concédé le paramètre interétatique de la politique à une autre branche scientifique, les Relations internationales. Ce choix a fait qu’une attention excessive a été accordée au poids de la politique intérieure dans la formation et le fonctionnement du système politique, et qu’inversement, le contexte interétatique ou mieux cosmosystémique en tant que facteur de la politique intérieure a été sous-estimé.
Pourtant, la relation d’imbrication de la politique intraétatique et interétatique ou cosmosystémique rend pratiquement impossible toute tentative de les dissocier. Mais dans le même temps, l’équilibre de leur influence dans la balance globale de la fonction politique diffère selon, d’une part, la phase que traverse le cosmosystème global, et d’autre part, les rapports de force qui s’élaborent dans le temps cosmosystémique vécu.
De la phase que traverse le cosmosystème global résultent également les emplois du régime autoritaire comme moyen de formation des rapports de force interétatiques. Pour nous limiter à notre époque : à la phase de la souveraineté étatique, l’adhésion ou le maintien dans un camp de pays faisant des choix divergents sont obtenus essentiellement à l’aide des appareils répressifs de l’État ou, en des cas extrêmes, par une intervention militaire extérieure. En revanche, à l’époque de la souveraineté étatique relative – celle de l’État indépendant, certes, mais non souverain sur le plan du pouvoir –, le recours au régime autoritaire est en recul dans la mesure où le complexe hégémonique s’installe organiquement dans le contexte de la politique intérieure. Le système communicationnel qui soutient cette évolution rend de moins en moins visible la distinction entre politique intérieure et politique interétatique ou, mieux, cosmosystémique.
La différence est fondamentale. À la phase de la souveraineté statocentrique, l’essentiel de la politique est possédé par le pouvoir politique de l’État, et de ce fait, le rejet des choix d’une politique électoralement légitimée ne peut avoir lieu alternativement que par le biais des appareils répressifs de l’État. Le passage à la souveraineté relative du pouvoir politique, puisqu’il va de pair avec le développement d’un système communicationnel polyvalent et d’une fonction d’intermédiaire extrêmement puissante introduite par la société civile, déplace le champ de la politique, au-delà du pouvoir étatique, sur le terrain de la société et de l’économie privées. Mais l’imbrication qui s’observe en ce domaine entre facteurs intérieurs et extérieurs offre au fond des possibilités illimitées d’harmonisation légitimée de la volonté politique de l’État avec l’intérêt du complexe hégémonique. C’est ce qui explique qu’à cette phase, qui coïncide avec la période de ladite «mondialisation», le régime autoritaire est invoqué de plus en plus par les forces qui rêvent de souveraineté politique de l’État parce qu’elles croient que de la sorte, elles blinderont son indépendance contre les tentatives de sape extérieures et la falsification de son autarcie intérieure.
Les cas des dictatures espagnole, portugaise et grecque appartiennent à l’époque de la souveraineté étatique au cours de laquelle l’enjeu politique se focalisait encore sur le genre de système social qui succéderait à la féodalité pourtant lointaine ou, pour formuler les choses autrement, sur la voie de la construction anthropocentrique. Cette confrontation des deux idéologies de la transition – le libéralisme et le socialisme – se cristallisa également au niveau du cosmosystème global par la formation de deux camps homologues qui constituèrent ensemble les deux grands pôles d’intérêts stratégiques sur la planète.
La période de la Guerre froide montre que toute alternance politique à l’intérieur de l’État qui supposerait la réforme ou la modification du système social entraîne aussi potentiellement le déplacement de cet État dans le camp adverse ou en tout cas l’élargissement de l’influence de l’adversaire. Sous l’empire de cette polarisation, toute différenciation dans le domaine de la politique extérieure susceptible d’ébranler la stricte définition des deux camps était considérée comme absolument interdite.
Cette réalité posait inévitablement la question de la participation au pouvoir, permise ou non, des partis qui professaient un projet idéologico-social ou politique qui n’était pas absolument conforme au système ou au bipolarisme décrété. Car, étant donné que toute différenciation par rapport au système ou simplement à la politique extérieure était inconcevable, l’existence ou l’avènement au pouvoir de partis qui l’exprimaient n’étaient pas moins mal vus. Le bloc socialiste a résolu cette question par la dissolution pure et simple du système social qui faisait la substance de l’adversaire et, sur le plan politique, en invoquant le principe de la «dictature du prolétariat», qui rejetait en dehors de la légalité le pluralisme partisan. Au sein du bloc libéral, la question a été posée par rapport aux partis qui exprimaient l’alternance politique. Ainsi le pluralisme partisan se trouvait-il préservé, à l’exception de quelques cas où l’activité des partis communistes était interdite, mais la volonté sociale qui aurait opté pour l’alternance politique était mise hors légalité. Tant que dura la Guerre froide, l’accession des partis socialistes au pouvoir était totalement interdite[10].
Les dictatures espagnole et portugaise ne furent pas dictées par cette problématique de la Guerre froide. Elles apparurent sous l’empire de la confrontation qui se développa dans l’entre-deux-guerres en Europe, et en particulier du conflit entre socialisme réel, totalitarismes fascistes et libéralisme parlementaire. Mais en tant que résidu du système international précédent, elles s’intégrèrent au climat de bipolarisme de l’après-guerre en maximisant le rattachement certain de ces pays «hérétiques» au camp «occidental»[11].
Le cas de l’Italie fut très problématique, car le fait qu’elle appartenait à une culture historico-politique de nature différente par rapport à celle du monde anglo-saxon ne favorisait pas la focalisation univoque de la politique sur son volet «opérationnel» et par voie de conséquence, sur l’efficacité de son devenir économico-social[12]. L’imposition du régime autoritaire fut évitée en Italie pour des raisons conjoncturelles[13], bien qu’il ait été admis que cela faisait pleinement partie des plans du complexe hégémonique de l’Occident.
Le cas de la Grèce ressemble à celui de l’Italie, si l’on ajoute la remarque que les évolutions politiques internes passaient pour menaçantes dans une région qui était considérée comme un bastion stratégique sur le flanc de l’Union soviétique, et qu’en même temps, on jugeait que le pays ne pourrait pas «hypothéquer» négativement l’identité politique du camp occidental. C’est pourquoi le cas grec fut classé parmi les priorités du complexe hégémonique occidental, avec pour ligne directrice sa position géopolitique, à laquelle devait s’harmoniser sans dévier le comportement politique de la société. L’attente accrue du complexe hégémonique sur ce point allait de pair, nous le verrons, avec une longue tradition de désobéissance déclarée de la société à ses choix.
L’assurance de la non-alternance au pouvoir et par extension la dissuasion d’une volonté sociale alternative furent envisagées en principe de manière préventive, en «guidant» les appareils appropriés, mais aussi de manière répressive, par la construction de poches multiples de surveillance et de canalisation de la contestation individuelle et collective. L’équilibre entre liberté et répression dépendait directement de l’intensité de la contestation, c’est-à-dire du poids spécifique qu’enregistraient les forces de la contestation dans la société et la politique.
Aucun pays du camp occidental ne fut épargné par cette logique du bipolarisme, y compris ceux du complexe hégémonique. L’argument de «l’ennemi intérieur» conditionna le principe fondamental du système, le pluralisme partisan, au fait qu’il serait en harmonie avec son dispositif libéral, et mit la volonté sociale sous un état de surveillance. Les libertés et les droits de l’homme n’étaient pas conçus comme un acquis du système, mais, en fin de compte, uniquement de ses partisans.
Il va de soi que dans ce climat, le taux de répression ne s’accorde pas avec la faiblesse de la présence de la société civile, comme le prétend la science politique moderne, et par conséquent, avec le développement économique d’un pays du monde occidental européen. En réalité, la différenciation dans les sociétés civiles des pays d’Europe occidentale est négligeable[14], ce qui signifie qu’il faut chercher ailleurs les causes de la contestation, et concrètement, dans le noyau du problème politique. Nous songeons précisément à l’indice de développement politique et, au-delà, de disponibilité du corps social et des forces intermédiaires à se conformer au déficit démocratique dicté par la règle internationale. Les évolutions qui sont notées dans le monde de l’après-Guerre-froide, et surtout depuis l’entrée dans l’ère de la souveraineté statocentrique relative (ladite «mondialisation»), confirment clairement le poids décisif du facteur extérieur dans la politique intérieure.
En d’autres termes, le déficit démocratique de l’époque de la Guerre froide ne représente pas particulièrement pour les pays européens un problème interne typique, mais une incapacité congénitale en accord avec la phase que traversait l’humanité et dont la gestion avait été prise en main par les forces qui constituaient le réseau hégémonique. Le cas du Chili de Salvador Allende est simplement indicatif. La science politique dominante, pour concourir à la légitimation des options stratégiques du complexe hégémonique de l’Occident, imputa à la société chilienne un déficit démocratique alors qu’elle l’avait déjà classée parmi les pays de la semi-périphérie. Le régime autoritaire dans ces pays est interprété manifestement en fonction de causes endogènes et non pas exogènes, au vu de l’impuissance de la société globale à soutenir la démocratie.
L’exemple grec présente, de ce point de vue, un intérêt extrême, en raison de la spécificité déjà signalée de la société grecque.
4. La Dictature des Colonels comme «incident» dans la politique grecque
L’hypothèse que la Dictature des Colonels est une parenthèse exogène dans la culture politique grecque est à combiner avec la remarque qu’elle ne s’accorde pas avec un climat intérieur propice, susceptible de l’abriter ou du moins de la justifier comme phénomène politique. Autrement dit, elle ne s’inscrit pas comme une étape dans l’évolution globale du système politique vers le pluralisme représentatif.
Le fait est que le système politique grec est le système le plus ancien, le premier système moderne de type représentatif, parmi les États nations, à avoir eu pour fondement le suffrage universel. Même la monarchie absolue qui fut imposée par les puissances de la Sainte Alliance (1832) n’osa pas abolir le suffrage universel ni, par extension, le système partisan «pluri-classe», avec les idéologies qui l’accompagnent. Le principe de la confiance manifestée de la chambre fut consacré en 1875, au sein du régime de monarchie constitutionnelle installé dès 1843, en même temps que le rétablissement du parlement aboli à l’avènement de l’absolutisme[15].
Pourtant, la monarchie héréditaire ne devait jamais s’acclimater fondamentalement au système politique de l’État grec moderne. Elle fut toujours envisagée comme une institution exogène non adaptée au caractère légitimant, par voie électorale, des acteurs de la politéia, et comme point d’appui de la tutelle du pays. À l’exception d’un seul, mort sur le trône pendant son règne – qui, notons-le, coïncide avec la Guerre froide –, tous les rois furent chassés du trône et l’un fut assassiné. Tous furent plus ou moins tenus pour responsables des interventions politiques, des déviations et des aventures subies par la nation, le pont culminant ayant été la catastrophe d’Asie Mineure de 1922.
La culture politique grecque se cristallise dans les Constitutions du début de la troisième décennie du XIXe siècle, qui firent suite au déclenchement de la Guerre d’Indépendance (février 1821). Le système politique adopté par les assemblées nationales élues par le peuple est républicain, mais se distingue par un pouvoir central (gouvernemental et parlementaire) extraordinairement lâche, simplement coordinateur. L’élection des détenteurs du pouvoir central ne sera donc pas la cause de la constitution d’un État centralisateur. Le nouvel État de la société grecque était fondamentalement «sympolitéien», et reposait sur le système des koina (cités)[16]. Les réglementations démocratiques adoptées dans ces Constitutions ne figuraient pas dans les textes constitutionnels contemporains des pays européens et, ce qui est plus intéressant, ne sont pas encore intégrées à la culture constitutionnelle de la modernité. La source en avait été, comme nous le verrons, l’acquis antérieur des sociétés grecques[17].
Même le régime politique introduit par Jean Capodistrias, après son élection comme président de la Grèce (1828), ne constitue, selon les données actuelles, qu’un système présidentiel relativement modéré. Le président lui-même l’annonça comme «provisoire», espérant éviter ainsi la colère des puissances caractérisées par le despotisme absolu, pour qui il était une provocation majeure. Lorsque, au début de sa présidence, Jean Capodistrias reçut des rapports conseillant l’abolition du suffrage universel – qui, à l’intérieur des koina, était un suffrage de décision et non pas seulement électif –, pour faire «européaniser» le pays, il objecta que ce droit était désormais inaliénable pour les Grecs parce que c’était un élément inhérent de son histoire politique séculaire.
La constante du parlementarisme qui repose sur la légitimité électorale (le suffrage universel) ne fut pas sérieusement menacée par la crise majeure provoquée par le choc de la défaite sur le front d’Asie Mineure, qui mena au déracinement d’un foyer vivace de l’hellénisme au-delà de la mer Égée, et à l’installation d’un million et demi de réfugiés dans un pays qui comptait moins de 5 millions d’habitants. Les turbulences politiques qui s’ensuivirent menèrent à la déchéance du trône et à l’avènement de la IIe République hellénique (1924-1935). Dans le prolongement de l’incertitude politique qui engendra l’une des plus graves crises de l’hellénisme, surgit le premier régime essentiellement dictatorial du pays (1936-1940), qui fut imposé par le Trône pour asseoir sa restauration putschiste.
Enfin, il est intéressant de remarquer que les forces de résistance à l’occupation nazie réintroduisirent le système des koina accompagné d’un système de démocratie (directe) afin de s’infiltrer dans la société grecque[18], et que la gestion de la guerre civile (1944-1949) eut lieu à partir d’un régime fondamentalement parlementaire et du système partisan y attaché.
5. La société comme paramètre de la vie politique
Ces constantes du système politique grec sont le produit d’une spécificité globale de la société grecque, qui remonte à son haut degré de développement politique.
Nous avons constaté que la science sociale moderne tente d’interpréter le phénomène autoritaire à travers le clivage qui se dessine entre la société civile et le pouvoir politique de l’État, qui inclut le phénomène partisan. Nous avons également noté l’absence de la société de cette problématique, attribuée à son absence effective de la vie politique. La société de la modernité a simplement un statut privé, on lui attribue sur la politique une approche salutaire et en tout cas «opérationnelle». La politique, en tant que champ de l’activité humaine, est inconnue, la gestion des affaires de la société appartient exclusivement aux forces intermédiaires et au pouvoir de l’État. Le dogme de la dichotomie entre société et politique suggère que le citoyen ne dispose pas d’une individualité politique, et que le corps des citoyens ne peut se constituer politiquement, devenir une partie inhérente du système politique.
Inversement, la reconnaissance au sein de la société grecque d’un haut niveau de développement politique soulève deux questions : la première concerne ses retombées sur la vie politique, sur le fonctionnement du système politique ; l’autre se focalise sur les origines de cette spécificité.
La reconnaissance à la société grecque d’un degré élevé de développement politique sous-entend que ses membres et elle-même en tant que globalité doivent être pris en compte à titre de facteurs de la vie politique. En ce cas, nous sommes appelés à revoir globalement le devenir politique : le rôle de la société civile et du phénomène partisan sera différent, comme le sera la place du pouvoir politique dans le système politique. La présence active de la société transforme également le but de la politique ou du moins le partage des rôles dans la détermination de son contenu et dans sa mise en œuvre.
Le degré élevé de développement politique du corps social se manifeste avant tout par la présence politique extrêmement dense de ses membres et par l’intérêt connexe pour les événements politiques. En même temps, la demande élevée de politique témoigne de l’existence des priorités différentes qui sont assignées à la politique[19]. Le niveau de développement politique différencie aussi profondément la participation politique et ses manifestations. La société politiquement développée se distancie du comportement grégaire ou de masse du soi-disant partisan qui donne accès aux partis de masse, à la carte blanche donnée aux forces intermédiaires et à la souveraineté politique du pouvoir, ou à une approche de la politique en termes de classe ou idéologique, avec pour projet la propriété et le travail. À la place du citoyen-partisan grégaire apparaît l’individualité politique, au sens où le citoyen constitue une entité politique active dotée d’un droit d’intervention personnelle et directe. La relation de ce citoyen – qui fonctionne comme s’il était membre du système politique et non pas seulement de l’État – avec la politique n’est pas simplement une relation de ralliement et de soutien des forces intermédiaires, mais une relation dialectique fondée sur une négociation directe constante avec le personnel politique.
Pendant tout le XIXe siècle, lorsque le Parlement était en session, les Athéniens se rassemblaient spontanément dans les rues et sur les places alentour pour «dialoguer» avec les députés et négocier leurs revendications. L’homme politique Charilaos Trikoupis (1832-1896), admirateur du système britannique (censitaire et semi-despotique) de l’époque, prétendait que pour que la vie politique grecque puisse se moderniser, le politicien devait se libérer de l’embrassade asphyxiante du citoyen.
Cette politisation ne se mesure pas à l’aune de l’indice statistique de la participation de chacun comme membre des organisations sociales (syndicats de travailleurs, etc.) et politiques (partis, etc.)[20]. En termes de manifestation grégaire de la politisation, la société grecque présente un retard constant non pas parce que la société civile et le phénomène partisan ne sont pas suffisamment développés, mais parce qu’elle s’oppose à l’individualité politique et par conséquent à la forme de participation politique qu’elle masque. En revanche, la politisation mesurée au temps réel consacré par le citoyen à la politique (sous la forme du dialogue, etc.) l’emporte de loin – et davantage dans le passé, sans toutefois que l’ère actuelle soit négligeable de ce point de vue – par rapport à tout autre pays[21].
La politisation fondée sur l’individualité politique n’est pas due à une tension accrue des problèmes qu’envisage la société. Elle se distingue quant au mode de conception de la place de l’individu dans le système politique, renvoie à un type différent de citoyenneté et, dans l’ensemble, à une relation entre société et politique qui rejette le dogme de la dichotomie professé par la modernité. Cette relation ne réserve pas à l’individu un statut privé d’homme libre qui «concède» la politique aux intermédiaires, ni, bien moins encore, qui admet que le citoyen est aliéné de la qualité de mandant[22].
Sous cette approche de la participation politique est sous-jacente, en tout cas, le concept de liberté politique, qui est un paramètre d’un ordre fondamentalement différent de la politique conçue comme simple droit. L’inscription de la société comme facteur de la politique constitue en fin de compte un mode de vie différent de celui qui occupe l’individu à l’aube de son passage de la féodalité à l’anthropocentrisme.
La spécificité de la société grecque est à la base de toute une variété de différenciations, au sein du système politique issu de l’État nation, comme l’introduction dès le départ du suffrage universel, des partis stratifiés, d’un but de la politique immédiatement (re-)distributif et non pas orienté en fonction des classes sociales, etc. Mais en même temps, la coexistence d’une société politiquement développée et d’un système politique qui fait valoir comme fondement son statut privé aboutira non pas à la collectivité de la participation – puisqu’il manque sa base institutionnelle – mais au souci individuel du citoyen de négocier avec le politicien, avec pour seule arme son suffrage légitimant. La transformation de la relation de clientèle en un système en soi[23] est précisément le résultat du clivage suscité par le manque de corrélation du système politique de la modernité avec la spécificité politique de la société grecque.
Cette relation différente entre citoyen et homme politique, et le stade différent de développement anthropocentrique auquel renvoie le développement politique de la société grecque expliquent aussi que la légitimation du personnel politique ait lieu dans un contexte de constante contestation. La vérité de l’État n’est pas la vérité pour le citoyen. La présomption suggère plutôt le contraire.
Cette même spécificité peut expliquer le fait que le phénomène fasciste n’ait pas prospéré en Grèce[24]. Dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, il n’y avait pas de société civile forte, capable de contrebalancer l’essence a-politique de la société et de contenir la propension naturelle des acteurs de la politique de la rencontrer sur une voie totalitaire du pouvoir[25]. La Grèce de l’entre-deux-guerres cumulait la crise économique qui frappait l’Europe[26] et une crise nationale et politique sans précédent qui posait en plus à la société grecque le dilemme pressant d’une reconstitution radicale de son orientation identitaire[27]. Aux antipodes, dans le contexte de la Guerre froide, on peut imputer au niveau élevé de développement politique de la société le manque de souplesse de la part de la classe politique, et en fin de compte, la barrière autoritaire dressée par le facteur international dans la contestation de son «ordre».
6. Les bases de la spécificité grecque
Il est clair que le développement politique de la société grecque ne saurait être attribué à une raison «raciale» ou conjoncturelle, non plus qu’à une évolution différente de la société dans le contexte de l’État nation. Il s’agit d’un phénomène dont la base est purement historique, qui remonte donc à son passé pré-ethnocratique immédiat.
Ce qui distingue la société grecque, c’est sa nature anthropocentrique ininterrompue qui, dès l’abord, suggère qu’à l’opposé des autres sociétés européennes, elle n’est jamais passée par la féodalité. Son passage à l’État nation anthropocentrique a été endo-cosmosystémique et non pas inter-cosmosystémique.
Le cosmosystème anthropocentrique dans lequel a vécu l’hellénisme durant la période pré-ethnocratique a été – cela dût-il surprendre – celui des cités-États. Il s’agit du cosmosystème anthropocentrique à petite échelle que vit naître l’époque créto-mycénienne et qui se cristallisa aux temps classiques, avant qu’il ne se mue en œcuméné.
La phase que traversèrent les sociétés grecques pendant que l’Europe vivait le Moyen Âge féodal puis la Renaissance et les Lumières jusqu’au XIXe siècle, a été celle de l’œcuméné post-statocentrique dont le contenu s’est fixé de manière définitive à l’époque byzantine essentiellement. Cette phase héritera de l’époque statocentrique non seulement le système des koina (des cités) et l’économie chrématistique (ou monétaire), mais aussi les politéias inhérentes, comme la démocratie, l’oligarchie, la représentation, etc.[28] Elle évoluera encore, par exemple sur la question de la constitution de la relation entre travail et capital qui, par sa transformation en relation partenariale, mènera à la dissolution complète du travail marchandise ou esclavagiste[29].
La conquête ottomane, comme auparavant la conquête romaine, bien qu’ayant aboli la base politéienne anthropocentrique de la cité métropolitaine, ne toucha pas à la nature anthropocentrique du système des koina (des cités). D’ailleurs, dès que le choc de la conquête eut été absorbé, les sociétés grecques connurent un nouvel essor important, qui aboutit à l’entreprise de reconstitution du caractère cosmopolitéien du pouvoir central.
Ainsi les sociétés du système des koina, avant la Guerre d’Indépendance (1821), continuent-elles à être profondément anthropocentriques et à vivre comme par le passé un acquis poly-politéien. Un grand nombre d’entre elles ont comme politéia la démocratie (directe), qui fonctionne dans des conditions homothétiques, pourrait-on dire, par comparaison avec celle des Ve-IVe siècles avant notre ère[30]. Chaque société se constitue en démos, est donc une partie essentielle de la politéia à laquelle appartient au minimum la qualité de mandant, avec des compétences décisives. Mais dans la cité oligarchique également, elle participe au processus politique par l’intermédiaire des koina locaux ou sectoriels dans lesquels elle se constitue en démos. La cité est aussi le foyer d’un système économique qui fait dépendre la relation entre travail et capital non pas de la propriété mais de la participation partenariale de chacun dans la mesure de sa contribution au processus de production. La société de la cité continue donc jusqu’à la fin à assurer cumulativement la liberté individuelle, sociale et politique, ou, pour ce qui nous occupe ici, une relation organique de l’individu avec la politique.
La classe bourgeoise, de son côté, loin de vivre le stade de la protogénèse à l’intérieur de l’État, est œcuménique. Ayant l’œcuméné pour espace naturel, elle envisage avec hostilité le projet de la souveraineté étatique et donc de la protection du capital national.
L’échec du projet de palingénésie nationale et la création d’un État nation mort-né, dépendant institutionnellement des puissances de la Sainte Alliance, marquera le début de la décomposition du cosmosystème hellénique ou anthropocentrique à petite échelle. Le système des koina sera aboli, y compris le travail partenarial, de même que l’essence œcuménique de la classe bourgeoise. L’héritage de leur logique subsistera cependant, comme par exemple l’approche négative du travail dépendant ou le développement politique signifiant et l’incapacité du corps des citoyens de se familiariser avec le statut de société privée. Dans le même temps, jusqu’à la fin de la deuxième décennie du XXe siècle, l’essentiel de la classe bourgeoise grecque continue à se trouver en dehors de l’État nation, dans les foyers de son espace historique vital immédiat, confrontée là aussi, de plus en plus, avec l’ethnocentrisme.
Dès après le retrait d’Asie Mineure et la reconstitution profonde de la société grecque et de l’État grec, commença à se faire sentir la présence d’une classe bourgeoise, dotée de caractéristiques ethnocentriques. Cette tendance s’accéléra après la seconde guerre mondiale, jusqu’à ce que cette classe bourgeoise «nationale» constitue une force interne fondamentale, à partir des années 1960.
Malgré tout, à considérer la question de manière globale, la classe bourgeoise grecque, même si elle devait céder sous les coups décisifs portés par les deux grands courants de l’ethnocentrisme et du socialisme, qui se développèrent particulièrement dans son espace vital, conserva des aspects significatifs de son caractère international, si bien que l’on pourrait soutenir qu’une partie de celle-ci participe davantage à ce qui se passe dans le monde qu’aux activités endo-étatiques. Les armateurs grecs, qui devront leur salut à leur particularité, en sont la manifestation la plus évidente, en contrôlant 16% de la flotte marchande mondiale et en occupant le premier rang mondial, et de loin.
Il est manifeste que la logique œcuménique ou la logique ethnocentrique de la classe bourgeoise représentent deux visions diamétralement opposées de l’État et de ses fonctions, et donc du système politique. De la même façon, l’acquis post-statocentrique ou œcuménique de la société, en termes de valeurs et de mentalités, notamment en ce qui concerne le travail et la politique, en d’autres termes la liberté globale, introduira dans le système politique de l’État nation deux niveaux importants de particularités, l’un concernant le but de la politique, l’autre la place du corps social dans le système politique.
La particularité concernant le but de la politique explique pourquoi, à l’heure où l’Europe renaissante focalise son attention sur l’antagonisme des deux projets idéologiques (libéral et socialiste) pour la construction de la nouvelle société anthropocentrique, la politique, dans l’État grec, se dépense en objectifs «post-classes» et «post-idéologiques». L’essentiel, au XIXe siècle et pendant la majeure partie du XXe, n’est pas, par exemple, la constitution sociale de l’individu en termes de liberté, ou l’attribution à celui-ci de la qualité élémentaire de citoyen qu’entraîne la généralisation du droit de vote, mais la gestion de la relation entre société et politique dans un contexte de tutelle auquel soumettait le citoyen le fait qu’il ait été déchu du système politique et soit arrivé au statut de la personne privée.
Comme je l’ai laissé entendre, cette évolution et surtout la combinaison de l’individualité politique avec le projet social «post-idéologique» ou simplement (re-)distributif dans des conditions de suffrage universel, déplaceront la relation politique de la logique de la «collectivité de classe» vers son articulation selon l’axe d’un système strictement clientéliste. Ainsi en dépit de la confusion qui règne à cet égard, le système clientéliste – et non la relation de clientèle – est un phénomène post-classes qui révèle l’absence de corrélation ou plus concrètement le retard du système politique (par exemple son caractère non représentatif), comparé à la nature politique de la société. La société politiquement développée est destinée à fonctionner à l’intérieur du système comme démos et non à se cantonner à la sphère privée[31].
Dans ce cadre, la classe politique a été appelée à gérer et même à faire la synthèse des oppositions nées du clivage entre système politique formel et identité politique de la société. Le système l’a mandatée pour administrer entièrement et authentiquement le pouvoir de l’État face à une société dont la participation se résume à la légitimation électorale.
De son côté, la société se comporte politiquement comme si elle possédait au moins la qualité de mandant et ainsi comme si elle était légitimée à dicter sa volonté, à contrôler, à participer à des politiques d’intérêt plus large, etc. Le citoyen envisage le politicien comme son interlocuteur personnel.
Le système partisan, par voie de conséquence, sera transformé en appareil intermédiaire qui, ayant développé un réseau social sans précédent sur le territoire, sous l’égide directe de la classe politique, incarnera finalement le système politique lui-même.
Le cantonnement obligatoire de la société grecque issue du système des cités dans le système politique engendré par le passage du despotisme à l’anthropocentrisme primaire devait naturellement amener à un nouveau système politique qui correspondrait inévitablement aux rapports de force politiques. Mais l’absence, déjà signalée, de ces rapports de force d’une classe bourgeoise «nationale» qui aurait équilibré la «fin» de la politique par l’introduction d’éléments «opérationnels» dans son dispositif, peut expliquer leur absence matérielle jusqu’à une époque récente, mais non la nature clientéliste du système politique[32]. En tout cas, ce système ne s’offrait ni à l’éclosion du phénomène fasciste ni à des «compromis» qui auraient harmonisé la volonté politique au poids du pays dans le système international.
Il s’ensuit de ce qui précède que, dans la mesure où le phénomène totalitaire convient à une certaine phase de la transition vers la société anthropocentrique[33], la société grecque ne s’inscrit pas dans son cas. Mais pour les mêmes raisons, le caractère «récalcitrant» de la société grecque face aux exigences de la Guerre froide obligera les garants du système à en venir à une répression accrue et en fin de compte à recourir au régime autoritaire pour la dompter.
7. La dictature, expression majeure du déficit démocratique de la Guerre froide
Si l’on considère la Dictature des Colonels sous l’angle des évolutions survenues dans l’après-guerre, on peut dire qu’elle est le maillon ultime d’un long processus de mise sous tutelle du système politique grec, qui commence avec la guerre civile (1944-1949) et se consolide à l’époque de la Guerre froide[34]. Durant cette période, se construit parallèlement au système parlementaire un régime de surveillance chargé de garantir le strict attachement du pays au dispositif du complexe hégémonique de l’Occident.
Le garant suprême de ce para-système était le Trône. Il fonctionnait simultanément comme autorité suprême du régime parlementaire et, en tant que chef de l’État (des forces armées, etc.), comme composante fondamentale de ses limites ou de son abolition. En effet, les rares cas dans lesquels la politique de la couronne et des gouvernements ont divergé publiquement tout au moins, sont imputables à ce que le «code» informel qui réglait la véritable répartition des pouvoirs avait été bousculé, principalement par l’intervention de la couronne ou des foyers de pouvoir parallèle[35].
En réalité, ce dualisme fut un trait caractéristique général de la Guerre froide dans tous les pays du camp occidental, y compris les États-Unis. La différence, pour ce qui est de la Grèce, réside éventuellement dans l’intensité de la répression, qui dépendait chaque fois cependant de l’importance de la contestation, c’est-à-dire du degré d’harmonisation de la société au dogme de la Guerre froide, et non pas de son déficit démocratique. Dans la mesure où la question de l’alternance au pouvoir et plus précisément de la contestation de l’hégémonie politique du parti qui gérait le régime au sortir de la guerre civile, le parti conservateur, et qui défendait sa position, ne se posait pas, en raison du fractionnement des forces du centre et de leur échec dans leur tentative de diriger la reconstruction de l’après-guerre civile et d’inspirer le contenu et le fonctionnement du système politique, la vie politique paraissait stable.
Il est à noter cependant que les forces centristes qui entreprirent de gouverner le pays aux moments les plus critiques de la guerre civile et jusqu’en 1952 suscitent une défiance croissante. Leur projet de réconciliation, inspiré par l’opinion, la revendication de démocratisation de la vie politique, leur relative tolérance vis-à-vis des forces de gauche, la suspicion de collaboration ou d’infiltration d’éléments socialistes dans leurs formations politiques, constituent un argument suffisant et négatif pour les champions de la Guerre froide. Ainsi, les conservateurs portés au pouvoir gouverneront sans encombres pendant une décennie avec la domination de la vie politique par l’Union nationale radicale (ERE), fondée en 1956 par Constantin Caramanlis et qui détient, de 1956 à 1963, la majorité absolue à la Chambre des Députés. La stabilité politique et le relatif développement économique réalisé durant cette période priveront les forces du centre de leur assise sociale, ce qui les conduira à l’éclatement et à l’isolement. En effet, elles cessent d’être une opposition crédible dès lors qu’elles n’ont pas de projet socio-idéologique alternatif à opposer à la politique de la majorité gouvernementale[36].
La reconstitution des forces politiques du centre libéral et de la social-démocratie qui luttaient pour la démocratisation de la vie politique, et la création à cette fin de l’Union du Centre (1961), seront présentées au départ comme un pas important, susceptible de faciliter l’alternance au pouvoir sans fissurer le système, et de marginaliser la Gauche qui, en raison de la mise hors la loi du parti communiste, avait fait figure d’opposition aux élections de 1958 en rassemblant 25% des voix.
Cette reconstitution du paysage partisan et la modification des rapports de force furent le corollaire de réaménagements importants au sein de la société grecque.
En effet, la période qui va de la guerre civile jusqu’à la chute de la dictature se distingue par un grand dynamisme dans le domaine de l’économie, qui se place sur une trajectoire de forte croissance. En 1952, la Grèce va retrouver les niveaux d’avant guerre et, sur toute cette période, elle enregistre une augmentation constante du revenu national qui varie entre 6 et 7 % par an à prix constants.
La production agricole double en l’espace de dix ans, une importante réorganisation des cultures est réalisée, de nouveaux produits sont introduits, la superficie des terres arables augmente, la mécanisation progresse très rapidement, tandis que les produits agricoles exportables se diversifient et deviennent concurrentiels sur le marché international. En 1958, la Grèce atteint pour la première fois l’autosuffisance en céréales.
L’industrialisation connaît un développement tout aussi rapide, enregistrant une croissance plus forte que celle des autres pays d’Europe occidentale. Le rôle de l’État sera déterminant à cet égard: il prend l’initiative d’investissements considérables, tant dans les infrastructures de base (routières, ferroviaires, aériennes, communications, électricité, etc.) que dans le domaine purement industriel et des services. En même temps s’ajoutent de nouvelles activités «productrices», telles que le tourisme qui, également avec l’intervention de l’État, prend à partir du début des années soixante une place importante dans l’économie nationale. En fin, la marine marchande regagne bientôt le terrain perdu et, en une décennie, la flotte contrôlée par des intérêts grecs conquiert la troisième place mondiale avant d’accéder à la première quelques années plus tard.
Les conséquences sociales de cet essor économique sont spectaculaires et altèrent profondément la nature, les structures et le fonctionnement de la société grecque. L’on enregistre une grande mobilité de la population, une migration des régions purement rurales vers les zones urbaines et, dans ce contexte, vers les activités industrielles et de service. L’on estime à plus de 700.000 le nombre de personnes qui ont quitté les régions purement rurales pour les villes entre 1950 et 1970. L’écrasante majorité de ces migrants intérieurs se dirige surtout vers la région d’Athènes, qui atteint trois millions d’habitants en 1974, contre 1.400.000 environ en 1950. Au début des années soixante, la population urbaine de l’État grec dépasse la population rurale.
Les effets de ces mutations sociales sur la vie politique du pays se font sentir de façon particulièrement vive.
Car des forces nouvelles qui vivaient de façon concrète le climat de l’économie de marché commencent à faire sentir leur présence dans la vie sociale et politique : une classe ouvrière politiquement active, des couches moyennes nouvelles ou anciennes d’employés des secteurs privé et public, un groupe nombreux de professionnels, de commerçants et de petits industriels, enfin une classe bourgeoise qui va progressivement participer à la vie économique internationale et qui tentera l’intégration institutionnelle du pays au devenir économique et politique international. L’association de la Grèce à la CEE sera réalisée par le gouvernement de C. Caramanlis en 1961. Ce sera pourtant une démarche timide, qui va manquer, en dernière analyse, l’occasion d’une entrée intégrale du pays à la CEE dès cette époque.
Ces forces vont jouer un rôle essentiel dans le rassemblement de secteurs entiers de la société et de ce fait, constitueront le vecteur de l’unification de l’espace politique du centre. Ce n’est donc aucunement un hasard si l’Union du centre, constituée en septembre 1961, attira la majeure partie de la classe bourgeoise novatrice. Des tendances analogues commencent d’ailleurs à transparaître aussi dans l’Union nationale radicale (ERE), le parti au pouvoir. Elles expriment toutefois une problématique politique plus conservatrice. En termes plus simples, l’Union du centre rassemble autour d’une revendication de démocratisation politique, un très grand nombre de forces sociales, diverses et hétérogènes, mais unies par un même désir de renouveau dans un cadre libéral.
Bien que cette revendication ait suffit à porter l’Union du centre au pouvoir (elle remporte la majorité absolue aux élections de 1963), elle n’a pas été suffisante pour assurer sa cohésion. Ainsi, avant même de prendre réellement le contrôle du pouvoir de l’État, les forces politiques cohabitant dans l’Union du centre se lancent dans une lutte interne pour le contrôle du parti et de la politique gouvernementale. D’un côté, le groupe libéral qui voulait appliquer une politique modérée de modernisation. De l’autre, l’aile radicale qui insistait pour mettre en œuvre un programme à orientation sociale et politiquement éloigné des centres traditionnels du pouvoir, principalement de la couronne.
Les événements ont montré que le système politique n’était pas prêt à ce moment à résister à l’épreuve d’un défi libéral et démocratique. De même, les forces bourgeoises réunies dans l’Union du centre ne se sont pas montrées disposées à accepter l’évolution du parti, ne serait-ce que vers une social-démocratie. Dès l’instant toutefois que ces tendances centrifuges commencèrent à se concrétiser à l’intérieur du parti, il était relativement facile aux forces issues de l’esprit de la guerre civile et de la guerre froide d’en profiter.
L’«apostasie», c’est-à-dire l’éclatement politique des libéraux, doit donc être située dans un contexte plus large et être vue, en premier lieu, comme la réaction naturelle de la couronne qui exprimait l’esprit de la guerre froide, et, en second lieu comme l’expression d’un sentiment d’inquiétude d’une fraction de l’Union du centre qui ne voulait pas risquer de perdre le contrôle du parti ni le voir évoluer en abandonnant la perspective centriste, foncièrement libérale et modérée qu’elle avait tracée.
Du point de vue de l’évolution sociale, l’on constate que l’éclatement de l’Union du centre correspondait à une dynamique pressante d’adapter la vie politique et l’État à une réalité plus démocratique. D’ailleurs, c’était le seul moyen de rendre possible l’unification de l’espace politique libéral d’une part, et l’apparition de forces politiques d’orientation socialisante d’autre part, qui exprimeraient les aspirations de la petite bourgeoisie et de la classe ouvrière. Dans ce contexte, l’expérience des deux principales formations politiques libérales, l’ERE et l’Union du centre, ne reflétait pas la réalité sociale, tandis que la perspective de l’évolution ultérieure de l’une d’elles vers la social-démocratie l’obligeait à affronter les forces qui, historiquement, se nourrissaient du climat de la Guerre froide. L’intervention ouverte du Trône dans la vie politique (15 juillet 1965), inaugurée par le renvoi du gouvernement légitime, marquera la fin de la légitimité démocratique que le pays avait vécue jusqu’alors. Elle conduisit la Grèce dans une ère de troubles politiques et sociaux qui s’acheva par le coup d’État militaire en 1967.
8. La nature du régime dictatorial
La naissance de la Dictature des Colonels le 21 avril 1967 représente le dernier acte de la «contre-révolution» politique qui a été développée et graduellement mise en œuvre parallèlement à la légitimité parlementaire, depuis la guerre civile. L’insistance du Trône à conserver intact le régime «dualiste» juxtaposant le pouvoir légal et les forces de pouvoirs parallèles qui faisait d’elle le véritable arbitre de la vie politique a provoqué le déclenchement de réactions en chaîne dans certains milieux d’officiers qui estimaient que des mesures radicales s’imposaient pour arrêter la dynamique politique et sociale dont émanait le projet de la démocratisation[37].
En ce sens, la Dictature révèle l’incapacité du Trône, d’une part, à contrôler les clivages politiques, en excluant l’aile socialiste de l’Union de Centre, à «guider» les politiques du gouvernement, et d’autre part, à contrôler pleinement les poches de surveillance dans l’armée.
On a convenu qu’alternativement à l’entreprise du Trône d’écarter du pouvoir l’aile de l’Union de Centre réputée à gauche, avait été mis au point un plan de suspension partielle provisoire de la Constitution. L’intervention putschiste d’une poche concrète de l’armée, composée de cadres moyens n’appartenant pas au groupe dirigeant mais qui avaient fréquenté les services secrets et conservaient des liens étroits avec le facteur américain, n’efface pas l’intention de déviation. Elle modifia complètement, cependant, les rapports de force para-politéiens.
En effet, l’initiative des colonels, qui surprit le Trône et l’état-major, devint le noyau du conflit du régime militaire avec le roi. L’insistance du roi à reprendre l’initiative aboutit à sa chute, suite à une tentative de coup d’État d’opérette en 1967.
La Dictature des Colonels représente une junte militaire typique, qui ne réussit jamais sa conversion en régime politique, comme ce fut le cas de Franco en Espagne et de Salazar au Portugal, ni même une légitimation effective dans la société grecque. Il n’est pas du tout fortuit que la réaction et la résistance à la Dictature aient mobilisé des forces de tous les horizons sociaux et politiques, bourgeois et libéraux compris[38].
L’échec de la tentative d’assassinat du dictateur Georges Papadopoulos en août 1968 par Alexandre Panagoulis et la condamnation à mort de ce dernier déclenchent une mobilisation considérable, intérieure et internationale, qui finira par empêcher son exécution. En même temps, elle montre l’impuissance du régime à se faire accepter par l’opinion publique, tant intérieure qu’internationale. Exception faite des États-Unis, la «question grecque» est restée posée dans toutes les instances internationales. La mobilisation de la résistance a été déterminante à cet égard, ainsi que les réactions souvent explosives de larges couches de la population, qui atteignent leur comble avec les soulèvements estudiantins au cours de l’hiver 1972-73 et en automne 1973. Ils contraindront la dictature à mobiliser ouvertement et massivement tout son appareil répressif.
Il était désormais évident que la dictature était confrontée à un grave problème de légitimation, tandis que les frictions internes et l’affrontement avec le Trône allaient précipiter les événements.
L’absence de légitimation et surtout l’isolement de la Junte l’obligèrent à avancer constamment l’argument qu’elle représentait une déviation provisoire et transitoire qui visait à assainir la vie publique, à faire taire la corruption politique et à rétablir une démocratie saine. La déviation par rapport à la Constitution était imposée par le salut de la patrie. La démocratie, en tant que promesse, n’était donc pas celle de la rue, du règne de la rue et de l’anarchie. La suppression des partis et du Parlement, la mise sous contrôle total des syndicats et des coopératives avaient eut lieu parce que ces institutions étaient responsables de la division de la société et de l’état lamentable de l’appareil étatique.
Le discours politique de la Dictature fut purement anticommuniste, imputait au système partisan et à la classe politique la décadence de la vie politique, la scission et la corruption, les accusant de haute trahison. La classe politique était responsable de ne pas avoir montré clairement à la société le danger communiste. «Le problème communiste de la Grèce n’est pas celui des autres pays», soutiendra l’un des protagonistes de la Junte. «Le problème communiste de la Grèce, par la force des choses, est posé à la base : ou les Grecs ou les communistes. Autrement dit, je pense que dans l’espace géographique qui s’appelle ‘Grèce’, il n’y a pas de place pour nous deux. Ou nous resterons, nous les Grecs, ou les communistes»[39]. «Le gouvernement national ambitionne donc de faire de la Grèce un bastion inexpugnable dans le cadre de l’OTAN et un gardien de la civilisation européenne occidentale en ce coin de l’Europe»[40]. L’idéologie nationale du 21-Avril a été résumée dans le triptyque «La Grèce, des Grecs chrétiens».
La pleine harmonisation de la politique extérieure de la Junte avec le dispositif du complexe hégémonique du camp occidental fut suivie du retrait de Chypre de la division grecque par laquelle le gouvernement de l’Union du centre avait renforcé l’île, laissant celle-ci exposée à l’appétit turc.
Mais la «Grande Grèce» dont rêvent les colonels n’est pas expansionniste, elle se concentre sur le développement socio-économique et sur la promotion dans l’arène internationale de sa culture «gréco-chrétienne». Elle pose en exemple la Grèce de la diaspora et de la marine marchande, qui s’illustre dans le monde et à laquelle la Grèce misérable de l’État des politiciens doit ressembler.
La Grèce en tant que société, nation, système politique, est malade. Son assimilation au patient allongé dans le bloc opératoire est fréquente et vise à justifier la déviation. La Junte est le chirurgien qui la guérira pour la restituer saine et triomphante au monde.
Le régime autoritaire s’auto-définit comme une révolution, non comme un coup d’État, car ainsi seulement se justifie le fait que le pays ait été mis dans le plâtre jusqu’à guérison complète.
9. Le retour à la normalité politique
La fin de la Dictature peut être décrite littéralement comme un effondrement. Nous l’avons vu, la Junte avait pour argument constant que la déviation était une parenthèse provisoire qui visait à l’assainissement du régime démocratique. La rapidité du rétablissement dépendait toutefois des progrès de l’état de santé du malade, c’est-à-dire des estimations des colonels eux-mêmes sur le contrôle de la situation. En 1968 est élaborée une nouvelle Constitution, qui est soumise à un «référendum» ; ledit «Comité consultatif» est créé, sorte de parlement par lequel la Junte espérait, entre autres, faire surgir une nouvelle classe politique, etc.
L’argument de la parenthèse, par conséquent, répondait sans doute à la conjoncture, visait, autrement dit, à infléchir la résistance intérieure et à désactiver le facteur démocratique international. En l’absence de légitimation positive de la Dictature, furent recherchés la tolérance, le déplacement de la contestation au vu d’une mobilité qui maintenait ouverte la transition vers la «Nouvelle Démocratie».
Le mouvement de résistance, pour sa part, bien que morcelé et hétérogène, parvint, grâce à son activité à l’intérieur du pays et dans les forums européens et internationaux, à maintenir constamment ouvert le «problème grec», et la Dictature, par extension, constamment sur la défensive. Cette réalité devait forcément provoquer des cassures internes, qui s’accentuèrent du fait du conflit de la Junte avec le roi.
La mutinerie de la marine en mai 1973 conduira à l’abolition de la monarchie et à l’annonce d’un ensemble de mesures visant à l’organisation d’élections et au passage à un régime parlementaire[41]. L’amorcement de la transition contrôlée, combinée à la méfiance réciproque et à la radicalisation du sentiment anti-junte de couches dynamiques de la société, provoqua la libération d’une contestation incontrôlable, qui aboutit au soulèvement en chaîne des étudiants (à la faculté de Droit de l’université nationale d’Athènes et à l’École Polytechnique), etc. L’entreprise fut interrompue, la Junte initiale fut renversée, le général Ghizikis remplaça en novembre 1973 le colonel Papadopoulos au poste de président de la République.
Les rênes de la Junte en déliquescence furent repris en fait par un militaire obscur, Ioannidis, qui, dans les coulisses, conduisit le gouvernement de fantoches installé par lui. Quelques mois plus tard, il tenta d’inverser le cours des événements en exportant la Junte militaire à Chypre avec l’objectif déclaré de renverser le gouvernement démocratique. Le gouvernement chypriote passait pour miner le pouvoir de la Junte en Grèce, et le président Makarios avait été qualifié à plusieurs reprises par les États-Unis de Fidel Castro de la Méditerranée et accusé d’être responsable du maintien de Chypre dans le camp des pays non-alignés.
Le renversement du système politique à Chypre était censé neutraliser l’influence soviétique et renforcer la cohésion et les capacités opérationnelles de l’OTAN en Méditerranée orientale, à une époque où se profilaient des changements capitaux. Deux mois après le coup d’État et l’occupation par la Turquie de 40% environ du territoire de la République chypriote, éclatait entre Arabes et Israéliens la Guerre des Six-Jours.
L’intervention à Chypre acheva l’effondrement de la Junte militaire en Grèce, qui, de concert avec les États-Unis, invita l’ancienne classe politique à reprendre les rênes du pays, sous la direction du vieux leader Constantin Caramanlis.
Le caractère exogène de la Junte – qui fut dicté par les conditions géostratégiques et par le déficit démocratique du système international – est confirmé non seulement par son cursus en général mais aussi par la nature de la restauration démocratique qui suivit. Les forces politiques se reconstituèrent essentiellement au point où la Junte les avait suspendues, et avec la même direction politique.
Le paysage politique se clarifia toutefois rapidement par la suite, sur la base des clivages qui avaient commencé à se développer dès le début des années 1960 et qui avaient provoqué la déviation militaire. Le parti libéral se reconstitua dans le cadre d’un parti politique enfin unifié, la «Nouvelle Démocratie». Ce parti abrita l’ancienne Droite conservatrice, modernisée, et l’aile libérale de l’Union du Centre. Aux antipodes, apparaît le parti socialiste (le PASOK), qui héberge essentiellement l’aile gauche de l’Union du Centre et de forces de la Gauche. La Gauche communiste, qui sera légalisée sur la scène politique, éclata en parti communiste de l’intérieur, eurocommuniste, et parti communiste stalinien. Elle ne tarda pas à être neutralisée par le PASOK et marginalisée à moyen terme.
Le conflit de la Dictature avec le roi aboutit à l’abolition du Trône, ratifiée par un référendum organisé par le gouvernement de la République dirigé par le Premier ministre conservateur C. Caramanlis, le 8 décembre 1977. Cette institution dotée, comme il a été dit, d’une légitimité exogène et, au fond, facteur permanent de déstabilisation du système politique grec, devait payer le prix de son conflit avec les poches du para-système qu’elle avait elle-même installées pour soutenir ses choix.
10. Conclusion
En guise de conclusion, disons que la Junte des Colonels fut un régime typiquement exogène, qui répondait à l’incapacité du système politique à découvrir un point d’équilibre entre les clivages issus de la société hellénique hautement politisée et le déficit démocratique du système de la Guerre froide. La légitimation non endogène du «régime» autoritaire explique précisément le choix qu’il fit de ne cesser de proclamer son caractère de parenthèse, et son impuissance à assurer sa transition en une «démocratie» contrôlée. Sa tentative de s’exporter dans la République chypriote, l’impasse où il fut conduit et son effondrement final témoignent du fait que jusqu’au bout, ses appuis demeurèrent exogènes. L’ensemble de la société grecque, y compris la classe bourgeoise, tournèrent le dos au «régime» autoritaire.
Ce caractère de la Dictature des Colonels en révèle la nature différente par rapport aux régimes analogues de la péninsule Ibérique, qui s’inscrivent entièrement dans la dynamique des évolutions vécues par les pays européens dans l’entre-deux-guerres.
En un autre sens, le paradigme grec convient que l’argument de la société civile ne suffit pas à lui seul à expliquer le phénomène autoritaire dans l’espace européen, puisqu’il prend comme donnée et comme allant de soi le statut privé et par extension la nature a-politique de la société. Or, le paradigme grec révèle que le fonctionnement ou non de la société comme facteur de la vie politique dépend du stade de maturité où elle se trouve, n’est pas donné. La différence de la société grecque avec les autres sociétés du Continent européen réside justement dans les comportements hérités de son passé anthropocentrique, qui agirent et continuent d’agir jusqu’à un certain point de manière décisive sur le fonctionnement du système politique.
Cependant, la coïncidence de la fin des dictatures en Espagne, au Portugal et en Grèce fut sans doute d’ordre «biologique», c’est-à-dire liée au cycle de la vie de Franco et de Salazar. Cela n’en rappelle pas moins que le régime autoritaire, par nature, n’est pas héréditaire, qu’il dégénère et décline. En même temps, la chute des dictatures fut, d’un autre point de vue, le prélude d’un processus qui devait conduire au dépassement du déficit démocratique de l’époque de la Guerre froide et, finalement, des conditions qui l’avaient suscité.
[1] Voir à ce sujet Ph. Schmitter, «Groupes d’intérêt et consolidation démocratique en Europe Méridionale», Pôle Sud, 3/1995 ; R. King, The State in Modern Society, Londres, 1986 ; Adam Seligman, The Idea of Civil Society, Free Press, Macmilan Inc (USA), 1992 ; Ant. Makrydimitris, État et société civile, Athènes, 2002.
[2] G. Contogeorgis, «Justice et système politique. La question de la responsabilité politique», in Dem. Koutras (éd.), L’égalité et la justice selon Aristote et les problèmes de la société contemporaine, Athènes, 2000.
[3] Voir notamment nos études, Modernité et progrès, Athènes, 2001 ; «La démocratie dans la société technologique», La Tribune des sciences sociales, Athènes, 18/1996. Voir aussi M. Barbier, La modernité politique, Paris, 2000.
[4] De citoyen de l’État et non pas finalement du système politique, puisque cette dernière qualité aurait transformé le citoyen en associé du système politique et l’ensemble du corps social en démos. Voir sur ce point G. Contogeorgis, «Le citoyen dans la cité. Essai d’une théorie et d’une typologie de la citoyenneté», in P.Perrineau, B.Badie (éds.), Le citoyen. Mélanges offerts à Alain Lancelot, Paris, 2000.
[5] Voir notre étude «État et autonomie locale à l’époque de la ‘mondialisation’», in A. Makrydimitris (éd.), Autonomie locale et État dans le cadre de la Mondialisation, Athènes, 2003, pp. 17-77.
[6] R. G. Schwartzenberg, Sociologie politique, Paris, 1977, pp. 177 et suiv. ; voir aussi W. W. Rostow, The Stages of Economic Growth, Cambridge, 1960 ; R. Dahl, A Preface to Democratic Theory, Chicago, 1956.
[7] G. Contogeorgis, «Prolégomènes à une approche cosmosystémique du devenir historique», Dem.Koutras (éd.), Philosophie de l’histoire et de la civilisation, Athènes, 2003.
[8] Voir Philippe Schmitter, op. cit. De même, Nikos Mouzelis, Politics in the Semi-Periphery. Early Parlemantarism and Late Industrialisation in the Balkans and Latin America, Londres, 1980. Pourtant, le premier qui a introduit l’approche en commun du phénomène autoritaire de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce, les présentant même comme étant inhérent aux pays de l’Europe du sud fut Nicos Poulantzas dans son ouvrage, La crise des dictatures. Portugal, Grèce, Espagne, Paris, 1975.
[9] On observe en l’occurrence une confusion inexcusable entre la nature du système politique et sa légitimation. Dans ce schéma, la Grande-Bretagne apparaît comme la matrice et le modèle de la «démocratie parlementaire», sans compter que la moitié de son système politique (la monarchie et la Chambre des Lords) conserve encore ses origines féodales.
[10]En effet, jusqu’aux années 1980, la Gauche, y compris les partis socialistes des pays occidentaux, ont constamment été cantonnés dans l’opposition.
[11] Pour les régimes autoritaires de Franco en Espagne et de Salazar au Portugal, voir entre autres, Jacques Georgel, Les Eurodictatures. Fascisme: 1922-1945; Salazarisme:1926-1968; Nazisme: 1933-1945; Franquisme: 1936-1975 (étude comparative), Rennes, Éditions Apogée, 1999. Yves Leonard, Salazarisme et Fascisme, Éditions Chandeigne, 1996. António Costa Pinto. Palo Alto (eds.), Modern Portugal, Calif., 1998. António Costa Pinto, The Blue Shirts : Portuguese fascists and the new state, Boulder, [Colorado], New York,Columbia University Press, 2000. Salazar's dictatorship and European fascism: problems and perspectives of interpretation. Boulder, CO, 1994. Jacques Georgel, Le franquisme: histoire et bilan, 1939-1969. Paris, Éditions du Seuil [1970]. Stanley Payne, Fascism in Spain, 1923-1977. Madison : University of Wisconsin Press, 1999. The Franco regime, 1936-1975 . London : Phoenix Press, 2000.
[12] Effectivement, la règle anglo-saxonne qui dictait le modèle politique pour l’Occident de la Guerre froide concentre son attention sur l’efficacité «opérationnelle» du pouvoir et naturellement sur l’indice de légitimation du système, au lieu du développement démocratique. En cela, elle envisage avec suspicion les clivages politiques qui émergent dans les pays «du Sud» et qui contestent cet environnement établi. Le climat de contestation n’est pas présenté comme une vertu démocratique puisqu’il met à l’épreuve de la critique les fondements du système.
[13] Parce que la Gauche italienne sut faire preuve de souplesse et d’une compréhension profonde face aux contraintes du bipolarisme, mais aussi parce qu’un régime autoritaire en Italie aurait compromis la crédibilité du camp occidental et occasionné des frictions internes majeures.
[14] À titre tout à fait indicatif, nous signalons que les pays de l’ex-socialisme réel et de la périphérie du «tiers monde» font preuve aujourd’hui d’un développement de société civile inférieur à celui de l’Italie, de la Grèce, de l’Espagne ou du Portugal de l’époque de la Guerre froide, sans pourtant être aussi exposés au phénomène autoritaire.
[15] Voir Ant. Pantelis, St. Koutsobinas, Tr. Gerozissis, Textes d’histoire constitutionnelle, t.I, Athènes, 1993.
[16] Le système des koina issu de la cité dans lequel les Grecs avaient vécu jusqu’alors avait aussi pour base le projet de Rigas Pheraios (1757-1798), mais également des premiers leaders de la Guerre d’Indépendance, y compris Alexandre Ypsilantis. Le concept de «sympolitéia» définit les unions de cités-États qui apparaissent au IIIe siècle essentiellement dans la Grèce métropolitaine.
[17] Pour cette question fondamentale, voir G. Contogeorgis, Dynamique sociale et autonomie politique. Le système des cités à l’époque ottomane, Athènes, 1982.
[18] Voir à ce sujet notre ouvrage, Système politique et politique, Athènes, 1985, pp. 65-107.
[19] Il ressort d’une étude récente sur la culture politique dans 18 pays d’Asie et d’Europe que le degré d’intérêt pour la politique dépasse de 26,6 points la moyenne européenne : 83,4% contre 56,8% (G. Contogeorgis, «Political Culture in Greece», in Takashi Inoguchi, Jean Blondel (dir.), Globalisation and Political Culture of Democracy, Tokyo, 2003).
[20] Jacques Lagroye, Sociologie politique, Paris, 1993, pp. 294 et suiv. ; Percheron Annick, «La socialisation politique. Défense et illustration», in M.Grawitz, J.Leca (éds.), Traité de science politique, vol 3 : L’action politique, Paris, pp. 165-235.
[21] C’est ainsi que sur la base de l’enquête précitée (in Takashi Inoguchi, Jean Blondel, op.cit.), la société grecque se présente comme obtenant un des scores les plus bas en ce qui concerne ses engagements collectifs, à savoir les initiatives prises par des forces intermédiaires : 5,6% sur 15,5% pour la moyenne européenne. Pourtant, elle cherche des contacts personnels avec le personnel politique pour 10,2%, sur 6,6% de moyenne. La différence s’élargit notablement lorsqu’on est invité à répondre aux questions attachées à l’individualité politique (‘Talk about political problems’, ‘Talk about party politics’, Talk about international problems’, etc.): La société grecque dépasse de 20 à 30 points les autres sociétés européennes et de 56 à 62,5% les sociétés asiatiques.
[22] G. Contogeorgis, «Le citoyen dans la cité…», op. cit.
[23] Au sujet de cette distinction, voir notre étude «État et autonomie locale dans le cadre de la ‘mondialisation’», op. cit. À l’opposé, voir à titre indicatif J-L. Briquet, F. Sawicki, Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, Paris, 1998 ; S. N. Enseinstadt, R. Lemarchand (eds), Political Clientelism, Patronage and Development, Londres, 1981.
[24] Voir notre étude, « L’idéologie du ‘4 août’.Le système autoritaire en Grèce (1936-1940)», revue Pouvoirs, 94/2000.
[25] Sur certains aspects du phénomène totalitaire, voir R.Aron, Démocratie et totalitarisme, Paris, 1965; Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, New York, 1966 ; Nicos Poulantzas, Fascisme et dictature: la III Internationale face au fascisme, Paris, 1970.
[26] Voir Mark Mazower, Greece and the Inter-war Economic Crisis, Oxford, 1991.
[27] G. Contogeorgis, «Identité cosmosystémique ou identité nationale ? Le paradigme hellénique» Pôle Sud, 10/1999 ; «Le phénomène identitaire en Grèce. Entre le cosmosystème hellénique et l’État nation», Revue internationale de politique comparée, 5/1998.
[28] Voir nos études Histoire de la Grèce, op. cit. ; «Le citoyen dans la cité…», op. cit. ; Dynamique sociale et autonomie politique…, op. cit.
[29] G. Contogeorgis, «Travail et liberté. Prolégomènes à une théorie cosmosystémique du travail», in Dem. Koutras (éd.), Travail et métier, Athènes, 2002.
[31] Pour plus de détail, voir nos ouvrages Modernité et progrès, op. cit. ; «État et autonomie locale…», pp. 50 et suiv.
[33] Il vaut la peine de remarquer l’analogie de cette transition du monde de la modernité avec celles de la cité-État qui produisit la tyrannie sociale. Il mérite également d’être noté que le phénomène totalitaire ne se rencontre pas au XIXe siècle ou à la fin du XXe siècle, mais dans l’entre-deux-guerres.
[34] Voir, entre autres, N. Svoronos, Histoire de la Grèce moderne, Paris, 1972 ; Jean Meynaud, Rapport sur l’abolition de la démocratie en Grèce, Montréal, 1967, 1972 ; Th. Couloumbis, J. Petropoulos, H. Psomiades (eds), Foreign Interference in Greek Politics, New York, 1976 ; C. Tsoukalas, La tragédie grecque. De la libération aux colonels, Paris, 1968 ; G. Contogeorgis, Histoire de la Grèce, op. cit.
[37] G. Contogeorgis, op. cit., pp. 429 et suiv. Voir aussi Ch. Koryzis, Le régime autoritaire, Athènes, 1975 ; M. Meletopoulos, La dictature des colonels, Athènes, 2000 ; La dictature 1967-1974. Action politique, Discours idéologique, résistance (collectif), Éditions Kastaniotis, Athènes, 1999. S. Gregoriadis, Histoire de la dictature, vol. 1-3, Athènes, 1975 ; J. Giannopoulos, R. Clogg, La Grèce sous le joug militaire, Athènes, 1976.
[38] Voir à ce sujet, Const.Svolopoulos (dir.), Constantin Caramanlis, Archives, Évènements et textes, Athènes, vol. 7, pp 18 et suiv.
[39] Colonel I. Ladas (Discours, 1970, p. 9-24). Cité par M. Meletopoulos, La Dictature des Colonels, op. cit., p. 186.
[40] G. Papadopoulos, in op. cit., p. 183. Pour l’idéologie de la dictature, telle qu’elle a été vantée par un de ses «intellectuels», G. Georgalas, voir son œuvre, L’idéologie de la révolution, Athènes, (s.d.).
[41] Pour la transition au système parlementaire, voir aussi Ph. Maligoudis, N. Vardiabassis (éds), «Le rétablissement de la démocratie», in Ta Historika, 195/2003.
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