Τετάρτη 13 Οκτωβρίου 2010

Georges Contogeorgis Le système politique et l’État


Georges Contogeorgis


Le système politique et l’État


La problématique de l’État qui s’est élaborée au cours du XVIIIe-XIXe siècle admet que le système politique est l’un de ses éléments fondamentaux. Suite à cette doctrine, la politique a été définie non d’après sa nature, c’est-à-dire comme un phénomène lié à la constitution et au fonctionnement de la société ou aux relations entre les sociétés du cosmosystème global, mais comme pouvoir et/ou puissance. Cette approche de la politique et de l’État conçoit comme allant de soi une relation dichotomique nette établie entre la société et la politique: la société des citoyens exclue du système politique rencontre la politique dans un cadre extra-institutionnel, via la médiation des forces politiques et de ladite «société civile».

L’approche de la politique comme tautologie du pouvoir/force et du système politique comme tautologie de l’État réunit la pleine acceptation de la science politique de notre époque, si bien que la distinction des deux notions est superflue. La référence se fait donc globalement à l’État, à la politique de l’État, au pouvoir politique, etc. Et la prise en compte, très récemment, dans l’espace public de la dynamique des groupes qui se meuvent dans les coulisses du pouvoir, n’y change rien.

Sous une formulation différente, à la question de savoir si l’incarnation du système politique par l’État est un phénomène d’une époque déterminée ou est inhérent à la nature de la société humaine, la modernité répond par le deuxième membre de l’alternative. Et pour prouver cette hypothèse, elle a introduit deux arguments importants, à mon avis: celui de la division du travail social et celui de la complexité des sociétés contemporaines. En conséquence de cette problématique, l’homme social est par nature destiné à se constituer en globalité à l’abri de l’État/système.

Dès lors, l’enjeu se focalise sur le fait de savoir si l’État/système sera la propriété d’un ou de certains individus, auquel cas la société fera, elle aussi, plus ou moins partie de sa propriété, ou s’il sera, comme à l’heure actuelle, une construction juridique autonome dont les agents seront, d’une façon ou d’une autre, choisis par la société. Dans le premier cas, on parle d’un (cosmo-)système despotique, dans le second d’un (cosmo-)système dans le cadre duquel la société – ses membres – est constituée en termes de liberté individuelle. Ce système, la modernité l’appelle démocratie.

Bien que la différence entre ces deux (cosmo-)systèmes soit fondamentale, ils ne s’en rencontrent pas moins sur un point: la propriété constitue le système, qu’il s’agisse du système économique, social ou politique. Et les deux projets idéologiques majeurs de notre époque, le libéralisme et le socialisme, s’accordent en la matière. Leur différence se concentre sur le fait de savoir qui possédera l’essentiel de la propriété du système : le particulier ou l’État. Dans les deux cas, le corps social n’est pas une partie constitutive du système, économique ou politique.

Je pense que cette approche part d’une erreur méthodologique de base: qu’ils relèvent de la nature des choses ou non, le système politique et l’État sont deux phénomènes d’ordre différent. Le système politique définit le mode de structuration et de fonctionnement de la société; il indique qui possède la politique, alors que l’État définit davantage de choses: le territoire, à savoir la société globale structurée politiquement, l’administration, la justice et, en un sens, un espace propre de propriété sur différents terrains, de l’économie et de la politique à la vie culturelle. Mais quand on dit que l’État contient tous ces éléments, la question qui revient est de savoir si et dans quelle mesure ils sont inhérents à son hypostase ou non. Car si l’on opte pour la négative, on devra discuter des cas alternatifs possibles.

La décision concernant la façon dont sera constitué le phénomène politique, c’est-à-dire le genre de système politique, est assurément liée à sa dimension opérationnelle. Quel est le système le plus approprié et, par extension, qui est le plus digne de gouverner la société ? Et comment ? Or, cette question est liée aussi à la nature de la société, c’est-à-dire au statut qui régit ses membres et, en dernière analyse, à la liberté.

Par ailleurs, l’intervention de la liberté distingue entre despotisme et anthropocentrisme: l’un produit des sociétés de sujets (ou même de serfs), l’autre des sociétés fondées sur la liberté de leurs membres.

Cependant, le dilemme ne se pose pas entre la société moderne et la société féodale antérieure, mais dans l’axe de l’hypothèse d’une approche différente de la liberté, qui soulèverait la question de ses dimensions – au-delà de la dimension individuelle – sur le terrain social et politique. La pensée moderne estime que ce problème a été résolu, concevant la liberté individuelle comme autonomie, et la liberté sociale et politique en termes de droit. Mais la question ne peut être posée de cette manière car la différence entre liberté et droit est capitale. Les droits déterminent le champ de la liberté, ils ne se confondent pas avec le concept de liberté.

L’approche de la liberté comme autonomie met la société face à la constitution du système en termes de propriété. Je n’entends pas la propriété en soi, qui est fondamentale de plusieurs points de vue de la liberté, mais le rattachement du système à la propriété. Par conséquent, il n’est pas envisageable que l’individu soit libre dans le cadre d’un système qui ne lui appartient pas, où il ne participe pas à sa constitution et à son fonctionnement. C’est ce qui se passe, par exemple, dans l’économie. Quand le détenteur du travail contracte avec le propriétaire de l’entreprise, il lui concède le pouvoir de décider comment il aménagera son temps de travail, sa vie. Les droits, en l’occurrence, veillent à ce que le travailleur conserve sa liberté individuelle. Ils ne le transforment pas en individu socialement libre/autonome.

Il en va de même sur le terrain de la politique. Le citoyen est réputé concéder l’ensemble de la compétence politique à l’État. Lui-même est conçu comme un particulier, il n’est pas membre du système politique. Son droit d’exprimer ses opinions politiques, de manifester, etc., est extra-institutionnel, il enrichit sa liberté individuelle, mais ne s’inscrit pas comme liberté politique. Même chose avec le droit de vote: il choisit le personnel politique qui gouvernera l’État, mais il n’a pas de fondement représentatif.

Si le système politique était représentatif et, surtout, si la société jouissait de la liberté politique, cela briserait l’identification fondamentale du système politique avec l’État. L’État n’incarnerait pas le système politique.

Cette remarque exige une attention particulière. Car s’il en va ainsi, le dogme de la modernité, à savoir que la tautologie État-système, politique-pouvoir/force, liberté-droit est liée à la nature de la société humaine, s’effondre de plein droit. En ce cas, ce ne sera pas un phénomène universel mais, dans le meilleur des cas, une étape dans l’évolution anthropocentrique des sociétés.

Pour faire comprendre ce raisonnement, je propose d’ignorer pour l’instant la certitude de la modernité selon laquelle le système politique actuel est démocratique parce qu’il est représentatif ou, aussi, l’argument que la liberté individuelle est incompatible avec la liberté politique, et de nous arrêter sur le concept de représentation.

La représentation présuppose la rencontre des qualités du mandant et du mandataire dans des agents politiques différents. En outre, cette distinction entraîne une certaine répartition des compétences. En d’autres termes, il n’est pas permis que les compétences du mandant soient exercées par le mandataire, et vice versa. Sinon, le système changerait de caractère. Enfin, pour que le mandant exerce les compétences qui conviennent à sa qualité, il doit avoir la base institutionnelle pour les exercer. Par exemple, si la société est définie comme mandant, elle doit acquérir une entité institutionnelle, se constituer politiquement en corps, car c’est là la seule façon d’acquérir une volonté, de décider.

Le système politique contemporain se déclare effectivement représentatif. Nous savons aussi que le mandataire est l’agent de l’État. Mais qui est le mandant ? Manifestement pas la société. Les chartes fondamentales prévoient expressément que le mandant de la politique est la nation et que le but de la politique est l’intérêt, non pas social mais général ou public. Or, la nation est un concept qui coïncide avec la conscience identitaire de la société, ce n’est pas une entité réelle et, par conséquent, elle n’a pas de volonté propre. Idem pour l’intérêt général.

Il reste donc à préciser ce qu’est l’intérêt national ou général ou public. Qui a compétence pour ce faire, selon le système dominant ? Manifestement c’est l’État, c’est-à-dire le mandataire lui-même, non la société.

Ainsi constate-t-on qu’il existe une coïncidence entre mandant et mandataire en la personne des agents de l’État. La distinction des pouvoirs ne change rien à cela, et donc à la relation entre société et politique. La distinction des pouvoirs concerne l’agencement interne du pouvoir politique de l’État, elle ne change pas le système politique en système représentatif. L’État incarne de toute façon le système politique dans son ensemble, c’est-à-dire tant la qualité de mandant que celle de mandataire. L’État décide ce qui est national ou conforme à l’intérêt général. La «nation» concède ses destinées à l’État, non à la société ! Si le système politique était réellement représentatif, la société constituerait un «dèmos» et exercerait, au lieu de l’État, les compétences du mandant.

L’argument est souvent mis en avant, que la société a concédé volontairement sa qualité de mandant à l’État. Mais cette concession concerne la légitimation du système, non pas sa nature qui change radicalement. Si un individu ou un groupe libre est d’accord pour devenir l’esclave d’un autre, le fait qu’il soit d’accord ne le maintient pas libre.

On constate entre représentation et démocratie un accord et une différence. Elles s’accordent à dire que le corps social doit être politiquement constitué, posséder la qualité de dèmos, faire partie intégrante du système politique. Elles se différencient en ce que dans la représentation est introduite la distinction entre mandant et mandataire, auquel cas le dèmos ne possède qu’une partie du système politique. La démocratie, au contraire, résout la dichotomie interne du système politique en introduisant le principe que le système politique est incarné totalement par la société des citoyens, exactement comme aujourd’hui l’État.

Sur ce point, deux précisions sont nécessaires: la première a affaire avec le fait de savoir si l’on se situe en faveur de ou contre ces systèmes ou si on les considère ou non comme accessibles par nos sociétés de grande échelle cosmosystémique. Les décisions relativement à ces interrogations concernent des questions d’ordre différent, qui ne sont pas liées à la gnoséologie du phénomène. Car si l’on admet l’hypothèse proposée plus haut, il est évident que l’on pénètre dans une perspective totalement différente de l’histoire, de la typologie de la politique et, en tout cas, de la lecture du système politique contemporain et de notre époque.

La seconde précision a affaire plus spécialement aux lectures de la démocratie. Nous savons que la discussion sur la démocratie a commencé à l’époque moderne en résultat de la rencontre des penseurs des Lumières avec la littérature grecque ancienne. Mais au fil du temps, les choses ont changé et le point de vue s’est imposé que la démocratie grecque était primaire, c’est-à-dire pré-moderne et en tout cas inférieure à la démocratie moderne.

Derrière cette opinion se dissimule en tout état de cause une prise de position idéologique, dans la mesure où l’on estime que les «spécialistes» et non le «peuple» savent quelle est la bonne gouvernance dans l’intérêt de la nation ou simplement de la société dans son ensemble. Les questions que l’État a à résoudre aujourd’hui sont bien trop complexes pour être laissées au peuple.

Un deuxième argument choisit la démocratie athénienne pour arguer que sa mise en œuvre n’est pas possible pour cause d’échelle.

Ces deux arguments ne tiennent ni l’un ni l’autre. Les problèmes actuels sont plus complexes qu’au XVIIIe-XIXe siècle, mais le peuple participe maintenant plus qu’avant à la politique. En outre, la question n’est pas de mettre en œuvre chez nous la démocratie athénienne mais le principe démocratique. J’ajouterai enfin que la polis existait plusieurs siècles avant la démocratie, bien que toujours à la même échelle.

Que signifie tout cela ? Que la relation entre société et politique n’est pas naturellement donnée d’avance mais est liée au développement anthropocentrique du cosmosystème auquel elle se rapporte. Dans le despotisme et dans l’anthropocentrisme primaire, le système politique est constitué par la propriété différenciée de l’État, alors que la société est maintenue hermétiquement en dehors du système, dans l’espace privé. Dans une période plus évoluée sur le plan anthropocentrique, le système est partagé entre l’État et la société. Dans l’anthropocentrisme achevé, l’État est transformé en serviteur du dèmos/système, qui assume la compétence politique universelle et, par extension, l’ensemble du système politique.

Il ne fait aucun doute que ces deux systèmes politiques, la représentation et la démocratie, se situent aux antipodes du système politique de la modernité. Celui-ci envisage la participation politique comme un processus extra-institutionnel et non comme une composante du système politique. C’est pourquoi nous l’avons appelé pré-représentatif.

Le passage de l’État/système à la société/système n’est pas une affaire du présent ni ne dépend, naturellement, de notre pensée. Mais les évolutions qui se profilent à l’horizon, la position de l’argument de la représentation ou de la démocratie sur des bases morales – ledit déficit représentatif ou démocratique – rendent nécessaire la révision de notre fonds gnoséologique. D’abord parce qu’il n’est pas conforme à la connaissance et à la réalité. Ensuite, parce que la reconsidération de la relation entre système politique et État est destinée à ouvrir de nouveaux horizons à notre problématique: pour l’individu social, pour la politique comme phénomène et pour le mode de constitution de celle-ci, pour la typologie des systèmes politiques et évidemment pour l’essence de la démocratie, pour la nature du système politique moderne.

Quoi qu’il en soit, nous estimons que la mise en avant de l’hypothèse que le système politique n’est pas une tautologie de l’État et que l’État n’est pas son détenteur naturel et stable par nature constituera une révolution gnoséologique aux conséquences fondamentales dans l’avenir.


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