Georges Contogeorgis
Bonne gouvernance et démocratie1
1. La discussion sur un sujet novateur tel que la gouvernance2, qui prétend redéfinir l’essence du système politique moderne, pose prioritairement une question de contenu. Cette clarification de contenu devient plus urgente du fait que ce concept s’accompagne d’une référence axiologique d'ordre primitif – l’opposition du « bon » et du « mal » – qui, on le sait, a mauvaise presse du point de vue scientifique.
Que signifie donc la gouvernance, voire la bonne gouvernance ? En quoi ce concept est-il différent de celui de gouvernement et, en définitive, quel est son rapport avec le système moderne, voire la démocratie ?
Par gouvernance, on définit le mode de gestion de l’État, tandis que la bonne gouvernance délimite un modèle bien précis de l’exercice du pouvoir politique3. Ainsi la gouvernance diffère-t-elle du concept de gouvernement, lequel se réfère aux seules institutions et aux acteurs immédiats du pouvoir de l’État.
La bonne gouvernance suggère le changement de la logique de l’État, de son mode de fonctionnement et, au-delà, de la finalité politique, en introduisant comme critère suprême de son évaluation l’efficacité. L’efficacité constitue le terme clé de la bonne gouvernance, laquelle pourtant a une affinité élective avec l’économie et, plus précisément, l’économie privée et son agent véhiculaire, le marché. Le marché s’introduit à la fois comme finalité majeure de la bonne gouvernance et pilier constitutif du fonctionnement de l’État. L’État, étant admis qu’il incarne la politique, est appelé à soumettre celle-ci aux lois éprouvées du marché et à se comporter comme le vecteur/serviteur de l’économie privée. Les autres actions de l’État, qui relèvent de sa responsabilité politique, telles que la (re-)distribution de la valeur ajoutée de l’économie, les relations du travail et du capital, l’État de droit, la prévoyance, etc., sont invitées à s’harmoniser aux règles de l’efficacité en matière économique et, au-delà, de marché. C’est dans ce sens qu’on opte, comme priorité de haute importance, pour l’existence d’un environnement de stabilité, voire même de légitimité sociale et de droit, pour la transparence ou l’incorruptibilité de l’État et, d’une façon générale, pour la « modernisation démocratique », issue du cadre « occidental ».
Le troisième pilier de la bonne gouvernance et peut-être véhicule du système, c’est la société civile. On entend par là que les forces intermédiaires, issues de la société et, essentiellement, de l’économie, s’associent au processus politique, l’État ne détenant plus le monopole de l’autorité politique. L’État souverain du passé n’est plus accepté tel quel. De la souveraineté politique monopoliste de l’État, on passe à la souveraineté partagée de la politique.
L’État, dorénavant, doit assurer une fonction de régulation ou de «pilotage» de l’action politique, dans le cadre d’un système de partenariat, forgé par les trois piliers signalés ci-dessus. Il sert à la fois d’agent et de garant de la finalité prioritaire assignée à la politique, tout en veillant à ce que les conditions qui la rendront possible soient assurées: la transparence, la disponibilité et l’efficacité des services de l’État, la légitimité et le droit, la paix sociale, qui ont été évoqués tout à l’heure, sont des procédés destinés à faciliter l’action du capital au sein mais aussi au-delà de l’État, dans son nouvel environnement cosmosystémique. Il s’ensuit que le système politique formel de la modernité reste intact; c’est sa logique interne, sa raison d’être, sa finalité ainsi que la manière dont est conçu son fonctionnement qui changent. Et dans ce cadre, la question majeure porte sur la réconciliation de la politique (de l’État), de l’économie (du marché) et des acteurs de la société civile sur la base d’une synthèse partenariale de l’espace public.
2. Il faut préciser que ce schéma que propose l'idée de gouvernance n'est pas nouveau. Mais on est tout de même en face d'une réalité nouvelle, issue de l’évolution profonde de la société et, dans la suite logique de celle-ci, d'un changement des rapports de forces au sein de la société, qui recommande à l'État de se conformer à cette finalité et de légitimer les acteurs de la société civile comme interlocuteurs valables dans l'exercice du pouvoir politique, lui-même se limitant à un rôle d'état-major. Au fond, il s'agit de l'adjonction d'une nouvelle échelle de médiation, en plus de celle des partis politiques, entre la société tout court et le pouvoir de l’État.
Comme le suggèrent les tenants du concept, « la gouvernance… se réfère à une nouvelle méthode de gestion de la société » (Rhodes), laquelle va de pair avec une nouvelle approche de la politique (en l'occurrence de l'État) et du marché (en l’occurrence de l’économie privée) qui donne accès à une nouvelle conception de la finalité politique et, au-delà, de la dynamique politique.
En effet, la demande d'un transfert « de pouvoir public aux forces de médiation sociale » est suivie, d’une part, de l'exigence d'une réduction de la souveraineté politique et de l'unité de l'État, par la reconnaissance de plusieurs autonomies en son sein et dans la société; et, d'autre part, de la suggestion d'une « introduction des mécanismes de marché dans le secteur public ». L’économie devient ainsi l’enjeu constitutif de la finalité politique, à savoir de l’État. Comme le souligne l’un de ses fondateurs, le concept de gouvernance propose « le développement de nouveaux modèles de coordination de l'action économique…. » (Smith) dans le cadre de sociétés extrêmement complexes. La gestion du pouvoir politique et de l'État par les mécanismes de l’économie privée se traduit donc en une soumission du pouvoir à ses lois (aux lois de marché). L’État est désormais conçu, par analogie, comme une entreprise privée. « Gérer l'État, nous assure une reine moderne, c’est comme gérer une… grande entreprise ».
Malgré cette affiliation, l’idée de bonne gouvernance n’est pas inhérente au système politique de la modernité4. Elle va être connectée à sa cause à partir du moment où celui-ci, comparé aux systèmes des pays arriérés, est considéré comme plus adéquat pour assurer sa finalité.
D’autre part, la liaison du projet de bonne gouvernance avec le système de la modernité a des limites bien claires.
En effet, le concept de gouvernance suggère un changement d'optique quant à la perception du pouvoir politique de l'État. On se souvient peut-être de la distinction historique des pouvoirs, en vertu de laquelle le « gouvernement » porte le nom de « pouvoir exécutif », pour la seule raison que les pères fondateurs ont voulu montrer que ce pouvoir n'était pas constituant mais concédé par le vrai pouvoir qu’était le pouvoir législatif. Dans ce cadre, le pouvoir législatif assure la fonction du mandant, le pouvoir exécutif celui du mandataire.
L’idée de gouvernance vient changer cette optique. Elle met à la place de l'exécutif le gouvernement et, au-delà, à la place du gouvernement la gouvernance. Le législatif n’incarne plus le pouvoir souverain de mandant, il sert à la ratification des décisions des agents de la gouvernance, qui acquiert une légitimité originale. Désormais, on assiste aussi à un changement fondamental du rôle de l'État et, plus précisément, de la façon dont le pouvoir politique est exercé. En effet, le pouvoir politique ou mieux le processus politique continue d'appartenir à l'État; il doit pourtant s’exercer de concert avec les groupes intermédiaires (de pression ou d’intérêt) et, d'une façon générale, avec les forces de ladite société civile.
Comme nous le verrons plus bas, le système de la modernité n’est pas démocratique; ce n’est même pas un système représentatif ‘direct’! On constate toutefois une prise de distance, aussi, vis-à-vis du principe de représentation indirecte qui régit le système moderne. En effet, la représentation ‘indirecte’ était assurée à travers la rencontre extra-institutionnelle des différentes couches sociales via la lutte des classes, qui s’exprimait, au niveau politique, par les partis politiques et avec leur propre idéologie pour point de référence. Dorénavant, l’approche de la politique en termes de classes ou d’idéologie laisse place à l’articulation du processus politique sur la base de la dite société civile. L’État est vu non plus comme l’expression de la lutte des classes, mais en tant qu’agent assurant la régulation des intérêts qui sont représentés par les forces de la société civile, à savoir les groupes d’intérêts tout court.
Le point de rencontre du système de la modernité avec le projet de bonne gouvernance est le rejet de la société tout court comme catégorie politique. La remarque n’aurait pas de signification particulière en soi s’il s’agissait seulement de certifier que le projet de bonne gouvernance est en conséquence pré-représentatif. Elle acquiert pourtant une importance capitale dans la mesure où il est constaté que par son intermédiaire, on aboutit en fait à retrancher du système moderne la fonction même de représentation indirecte.
C’est largement cette évolution qui est à la base d’un recul notable du cadre réglementaire de la relation sociale et politique au profit du rapport de forces dans la vie interne et externe des États, avec pour conséquence l’aggravation de certains aspects de la condition humaine (l’approfondissement des inégalités, de la réalité du travail, etc.).
De ce point de vue, il faut reconnaître que le projet de bonne gouvernance est intimement lié aux réalités inhérentes à la dite mondialisation. Pourtant, cette affirmation n’induit pas que le projet de bonne gouvernance soit responsable de la mondialisation, mais que cette dernière rend possible, voire nécessaire, un nouveau partage du pouvoir de l’État, qui y inclurait les forces de marché et la réorientation de la finalité politique. Si donc le projet de bonne gouvernance se pose avec une telle insistance aujourd’hui, à l’intérieur des États, c’est parce que le paysage global – interne et externe – du monde statocentrique a changé de façon dramatique, y compris le rapport de forces, sans que le cadre idéologique (l’idée de société, etc.) évolue pour autant. Les nouveaux acteurs (économiques, communicationnels, etc.), devenus autonomes, cherchent à combler le vide politique en devenant des partenaires de l’ancien système. De plus, le passage à la souveraineté partagée fait que les acteurs internationaux s’insinuent comme facteurs constitutifs du système interne – via la société civile – de leur propre chef et se posent ainsi en partenaires de la volonté politique de l’État.
3. Cette approche de la politique en termes opérationnels – comme concept et finalité – et de l'État (du système politique) comme institution qui dépend des lois de marché, soumet la politique et l'État à la règle de l'efficacité et, en dernière analyse, de l'efficacité en matière économique. Dans ce cadre, les questions fondamentales, telles que : « qui est légitimé à exercer le pouvoir ? », « comment ? », « sur quelle base ? », « dans quel but ? » ou encore « pour qui ? », sont envisagées sous le prisme de l’opérationnalité de la politique, issue de l'expérience et des priorités de l'économie privée (ou de marché).
Nous observons alors que le projet de gouvernance n’inclut pas non plus la société comme enjeu politique. On dirait même qu'il l'exclut littéralement, comme il exclut l'État souverain et la bureaucratie. Tant la société que l'État dérangent la vocation opérationnelle de la politique et, au-delà, la promotion efficace de l'économie.
L'affirmation que dans le projet de gouvernance, la rencontre de la société avec la politique n'est pas prévue, et encore moins souhaitée, est consécutive de la conviction que la politique est une affaire beaucoup trop importante pour être laissée aux non spécialistes, société comprise. Pour la même raison, la politique n'est pas autorisée à inclure dans sa finalité la volonté sociale, c'est-à-dire des choix ou des buts qui ne conviennent pas à sa fonction opérationnelle, issue de la logique de marché. La politique, tout comme le marché, confiée aux spécialistes et gérée selon la règle de l'efficacité, justifie l’argument de son exercice en concertation avec les forces vives qui sont nourries par la dynamique de marché.
D'après ce qui a été dit jusqu’ici, l’approche opérationnelle de la politique, tout aussi bien que l'attachement des partenaires sociaux au processus décisionnel qu’évoque le projet de bonne gouvernance, n'est pas la caractéristique d'un système politique déterminé. Dans tout système politique, il y a un aspect opérationnel, que poursuit l'agent de la politique, et des forces issues de la société civile qui cherchent à influencer le pouvoir. L’aspect opérationnel n'est donc pas lié à la démocratie; et l’on voit mal comment on peut soutenir qu'il s'inscrit dans une perspective d'approfondissement de la démocratie. Pendant la période de la Guerre froide, l’efficacité en matière économique, du moins pour une certaine catégorie de pays, avait été liée au système autoritaire.
De plus, le projet de gouvernance, et bien plus encore de la bonne gouvernance, est chargé de choix idéologiques. Il opte pour une certaine structure et gestion du système politique en place, qui doit pouvoir servir des choix socio-économiques et une finalité de l'État déterminée. Cette option laisse entendre que, par contre, la priorité accordée à la prévoyance, à la protection du travail, voire même à certains aspects de droit, entre autres, peut reculer ou être vue sous un angle plus souple dans la mesure où elle dérange la dimension opérationnelle de la politique et, au-delà, la logique de marché.
En conséquence, l'accent mis sur l'opérationnalité du système et de l'action politique signifie qu’on écarte du domaine du pouvoir d'autres dimensions qui sont considérées comme déviantes par rapport à la règle. De plus, la projection de l’aspect opérationnel de la politique coïncide avec une définition de la politique en termes de puissance et, en second lieu, de pouvoir. La combinaison de ces deux caractéristiques – l'aspect opérationnel de la politique et son identification avec la puissance ou même le pouvoir – laisse entendre que la politique est une activité qui ne vise qu’à la valorisation de la production, du processus économique en général. Or, le phénomène politique peut éventuellement inclure dans sa finalité la liberté individuelle et certains droits socio-politiques; mais il ne peut être développé en termes de liberté5.
Nous présumons donc que le projet de bonne gouvernance, le projet de la modernité en général, contient deux données fondamentales: la première est qu'il méconnaît ou, selon le cas, sous-estime d'autres dimensions de la politique qui sont également importantes pour la société, mais qui ne sont pas incluses nécessairement dans son aspect opérationnel au sens strict du terme. Nous rappelons, entre autres, les droits de l’homme, le chômage, la protection sociale, la prévoyance, la question de la redistribution de la plus-value économique et de la propriété, la justice, à savoir des « choses » qui font partie de l'idée de société. La seconde donnée est qu'il considère l’identification de la politique avec la puissance ou le pouvoir comme inhérente à la nature de la société humaine et non pas comme faisant partie d'une phase concrète de l’évolution sociale, à savoir du cosmosystème global. Pour la modernité, la politique se constitue en termes de puissance ou de pouvoir, ou elle n'existe pas. C’est pourquoi elle conçoit la politique comme tautologie de l’État ou, dans le meilleur des cas, des groupes intermédiaires (la dite société civile). Quoi qu’il en soit, politique et société sont considérées comme des notions antithétiques et, par conséquent, la politique ne peut être incarnée par un corps social politiquement constitué, à savoir le démos.
Cette approche de la politique dérive de la conception générale de la modernité qui lie le système à la propriété. En économie, par exemple, le propriétaire du capital (de l'entreprise, etc.) incarne le système et décide sur les conditions d'offre du travail, etc. La politique, de son côté, appartient à l'État, et c'est la raison pour laquelle système politique et État sont des notions inséparables. Ainsi, tout comme en économie, en matière politique l'individu est, par sa propre nature, soumis au pouvoir politique de l'État et aux forces articulées autour de lui. D'autre part, l'approche opérationnelle de la politique renvoie à une phase de l'évolution humaine qui valorise la liberté individuelle et non pas la liberté sociale et politique. La société privée et non pas la société politique. Cette modernité constitue indiscutablement un grand progrès, comparée à la période féodale précédente, mais du point de vue anthropocentrique global, elle correspond à une phase tout simplement primaire du développement humain.
4. Quel est le système politique que suggèrent le projet de bonne gouvernance et sa relation avec le principe démocratique ? Une première lecture du projet de bonne gouvernance laisse entendre que la participation de fait des forces de la société civile au processus politique n'est pas contraire à l'idée démocratique. Néanmoins, la situation est plus complexe. Il est certain que le projet de bonne gouvernance promet un changement de la relation entre le social et le politique, comparé au système moderne. Nous avons déjà évoqué certains aspects de ce phénomène. On rappellera aussi que, jusqu’à une époque récente, la rencontre de la société avec la politique se réalisait extra-institutionnellement, par la médiation des partis politiques. La justification de cet attachement aux partis politiques était la dite conscience de classe ou idéologique.
La nouvelle échelle de médiation qu’introduit le projet de bonne gouvernance ne rapproche pas la société du pouvoir politique. Bien au contraire. Tout d'abord, la société civile constitue une catégorie politique distincte de celle de la société tout court. Le concept de la société, entendu comme catégorie politique, c'est la société politique, à savoir le corps social politiquement constitué et de ce fait incarnant le système politique. En revanche, la société civile se résume aux forces issues de la société privée. La société civile présuppose l'approche de la société comme une entité non politique, c'est-à-dire privée, et amorphe. La société politique, en revanche, introduit comme condition la restitution au corps social, au minimum, de la qualité de mandant qui se traduit à son tour par sa constitution en institution du système politique.
Or, le projet de bonne gouvernance non seulement n'est pas, dans sa propre logique, conforme à la démocratie – du fait qu’il ne dissocie pas le système politique de l'État –, mais ajoute de plus une deuxième barrière de médiation par rapport au projet classique de la modernité, voire favorise le fonctionnement de la politique en termes de puissance. La distinction entre pouvoir et puissance est en effet capitale: la politique comme pouvoir ne promet certainement pas la liberté politique; elle annonce, pourtant, l’inclusion du fait de la puissance dans un cadre réglementaire. La politique comme puissance valorise le rapport de forces pur, elle exige même le travestissement de la volonté du détenteur de la puissance en décision réglementaire du plus faible. En outre, l'articulation de la politique en termes de puissance se réalise dans un cadre extra-institutionnel. Les forces de la société civile cherchent tout simplement à exercer une certaine pression, à marchander ou à convaincre les agents de l'État selon le poids qu’elles ont dans la dynamique sociale et politique. Elles ne sont pas reconnues comme partie constitutive du système politique.
Ainsi donc, partis d'un système à deux bastions – l'État et l'économie privée –, on aboutit à un système de partenariat dans lequel se rencontrent les agents de l'État, ceux de l'économie privée (ou de marché) et les forces intermédiaires. La société en est absente, elle ne côtoie plus – via l’idéologie ou la situation de classe –les forces politiques qui gèrent l'État. Il reste son rôle légitimateur du personnel politique, qui, à son tour, introduit un nouvel élément dans la vie politique, celui du questionnement de l'opinion, via les sondages, etc. Ainsi se fait-il que désormais, c'est la politique qui cherche la société pour se faire entendre et légitimer, et non le contraire. Les forces intermédiaires ne médiatisent plus la fonction représentative. La réunion des conditions communicationnelles, y compris la politisation relative du social – en termes d’individualité politique – change en effet le paysage politique. Nous pouvons supposer, alors, que le projet de bonne gouvernance a l’intention de combler le vide que produit le dépassement des anciennes constantes du système politique moderne, y compris ses idéologies fondatrices, et de prévenir le risque qu’entraîne le déplacement relatif de l’épicentre de la politique vers la société. Il propose donc que le déficit d’efficacité soit comblé par l’attachement des forces de la société civile au pouvoir de l’État.
D’un autre point de vue, la notion de bonne gouvernance essaie d’institutionnaliser de facto une dépendance du pouvoir politique par rapport aux forces de la société privée, surtout économiques, compte tenu de l’impuissance du pouvoir d’exercer sa souveraineté politique comme prévu par la Constitution, après que les paramètres fondamentaux du système (en économie, communication, etc.) sont devenus autonomes.
Les remarques ci-dessus nous amènent à supposer que le projet de bonne gouvernance exprime plutôt une réalité transitoire, où le passé est définitivement révolu, sans que le nouveau se profile encore à l'horizon. Peut-on supposer alors, suivant l’hypothèse avancée par ses tenants, que le projet de bonne gouvernance est démocratique, voire qu’il amène à un approfondissement de la démocratie?
Pour trancher cette question, il y a, à notre avis, une seule voie valable: établir le lien de parenté du projet de bonne gouvernance avec le principe démocratique. Malgré ce que l'on croit, le principe démocratique suggère le détachement de la politique par rapport à l'État et sa diffusion dans la société. Au lieu d'identifier la politique avec le pouvoir et l'État (ou bien sa « privatisation »), la démocratie enseigne l’identification de la politique avec le corps social. Ce n'est plus l’État qui incarne le système politique, c'est la société qui se constitue en système politique. L'État, de pouvoir souverain, devient le serviteur de la société-démos souveraine. La démocratie définit la liberté en termes d'autonomie, à la fois individuelle, sociale et politique, et non plus comme un simple droit.
Pour faire face à cette réalité, on a procédé au départ à la distinction entre démocratie directe et démocratie indirecte. Il faut tout de suite reconnaître dans cette distinction une absurdité à la fois logique et scientifique. Logique, car les concepts peuvent être décrits de façon directe ou indirecte, mais les « choses » sont ou ne sont pas. Par exemple, l'homme existe ou n’existe pas, la femme est enceinte ou elle ne l'est pas, le lion l’est ou ne l’est pas, etc. Scientifique, parce que le système moderne qui est décrit comme démocratie indirecte, et qui est à la base de la bonne gouvernance, non seulement se situe à l’opposé du principe démocratique, mais n'est pas non plus représentatif. C’est pourquoi, la décision de la modernité d’effacer l’adjectif déterminant – indirecte –, voire de projeter le système politique moderne comme la démocratie par excellence et, au-delà, de l’ériger en modèle de référence, dépasse l’imagination même la plus inventive.
En effet, le principe représentatif présuppose la rencontre du mandant et du mandataire, ces deux qualités devant être détenues par des acteurs concernés. En l’occurrence, l’une par la société, l'autre par le pouvoir politique.
Dans le système moderne, ces deux qualités – de mandant et de mandataire, de représentant et de représenté – appartiennent à l'État. Nous irons même plus loin, pour dire que l’État n’est pas appelé à être le représentant du peuple, de la société. C’est pourquoi la finalité politique n’incarne pas la volonté sociale mais des notions neutres et confuses telles que l'intérêt général, national ou public. De même, le contenu de ces « intérêts » est défini authentiquement par l’État. Enfin, nous présumons qu'aucun des attributs impliqués par le principe représentatif n’est présent dans le système moderne : citons la révocation, le contrôle, la responsabilité politique et juridique, etc. L'élection constitue une fonction d'alternance et de légitimation du pouvoir, elle n'est pas liée au principe représentatif. Le caractère pré-représentatif du système moderne devient clair dans le fait que la praxis politique n’est pas soumise à la justice. Le personnel politique se situe en principe au-dessus de la loi et au-delà de la justice. La représentation et, plus particulièrement, l’exercice de la responsabilité de mandant exigent la constitution du corps social qui détient la qualité de citoyen en démos, à savoir en institution fondamentale du système politique.
5. Le projet de bonne gouvernance s’inscrit morphologiquement dans la catégorie du système moderne: il est donc pré-représentatif. C’est dans ce cadre, par conséquent, qu’il faut envisager le sens des changements qu’il propose, particulièrement l’idée que la fonction politique est soumise à la loi de marché, tout autant que la qualité de citoyen. Ainsi le citoyen rencontrera-t-il l’économie en sa qualité de consommateur et non pas comme détenteur de la fonction politique. Il devient partie du système économique par la vente de sa force de travail ou par sa fonction de consommateur, et non pas en sa qualité d'homme libre et, au-delà, de par sa fonction comme partie constitutive du démos. Or, dans le projet de bonne gouvernance, le citoyen fait partie de la société privée, non pas du système politique. La relation politique étant vue sous l’angle du marché, la société n’y constitue pas une catégorie politique. Du point de vue idéologique, le projet de bonne gouvernance – en dehors de son caractère pré-représentatif – est typiquement oligarchique.
Pour que cette affirmation devienne claire, transportons-nous un instant dans la cité État. Nous constaterons que les questions posées ici furent soulevées par les oligarques qui s’opposaient à l'intégration de la société dans le système politique. Nous remarquerons aussi que la problématique élaborée à ce propos présente des aspects dont notre expérience ne peut rendre compte.
Aristote discute, dans la Politique, la critique exercée contre la démocratie et, plus précisément, la question de la suppression de la division du travail social et politique qu'elle introduit comme fondement constitutif de son système. Il fait remarquer qu’autrefois, dans les systèmes pré-démocratiques – essentiellement les systèmes représentatifs et pré-représentatifs – le gouvernement de la cité était confié aux spécialistes : à ceux qui disposaient de la qualité de leader et de la connaissance de la « chose » politique. Le Stagirite attribue ce choix au fait que les sociétés étaient alors arriérées. C'est pour cette raison que « Solon et quelques autres législateurs ont conféré au peuple collectivement [à savoir en l’instituant en démos] l'élection des leaders politiques et leur contrôle [y compris leur jugement devant un tribunal], sans pour autant leur permettre individuellement [à savoir à titre de citoyen] l'exercice du pouvoir. Tous réunis ont, en effet, suffisamment de discernement et, en liaison avec les meilleurs [les plus compétents] des citoyens, ils rendent des services à la cité… ; mais, pris isolément, chacun ne peut prendre qu’une décision imparfaite » (1281b, 31-37).
Toutefois, selon Aristote, à l'époque démocratique, ce raisonnement a quelque mal à résister: « On peut penser que le soin de juger qui a donné le traitement correct appartient à celui qui a précisément pour tâche de traiter et de guérir le malade de l’affection en cours, c'est-à-dire au médecin; et pareillement en tout autre domaine de pratique ou d’art ». Suivant cette problématique, « si le médecin doit rendre compte de ses actes devant les médecins, les autres également doivent le faire devant leurs pairs » (1281b,39-1282a,7). Pourquoi alors ne pas « appliquer les mêmes principes au droit de vote avec l'argument qu’un choix correct est l'affaire des experts… » (1282a, 8-10)? Car, dans ce cas, « il ne faudrait laisser le peuple maître ni de l'élection du personnel politique ni de son contrôle » (1282a, 12-14). Et alors, ces exclus de la politéia en deviendront les ennemis déclarés (1281b, 30-35).
Ensuite, Aristote exprime ses réserves quant à la valeur de cette argumentation, en disant qu’elle est valable dans des situations non démocratiques (ou mieux, pré-démocratiques). Je résume les trois arguments principaux:
Le premier est tiré du monde de l'économie. Le producteur d'un produit n’est ni le seul ni peut-être le mieux placé pour juger de sa qualité. « Une maison, par exemple, non seulement celui qui l’a bâtie peut l’apprécier, mais celui qui l’utilise la jugera mieux encore. Or, celui qui l’utilise, c’est le maître de la maison » (1282a,17-23), etc.
Le second exemple soulève la question des autres dimensions de la politique, que l’insistance sur la dimension opérationnelle dissimule ou du moins sous-évalue. Le recours aux autres dimensions de la politique fait que la qualité d'expert ne peut être appliquée en politique sans conséquences. S’adresser au médecin pour se faire soigner, c’est un bon choix. S’adresser au spécialiste en politique, c’est choisir, en plus, son propre système politique. Le projet de bonne gouvernance présuppose que l’intérêt de la société – la volonté sociale – et l'intérêt issu de l'économie de marché coïncident. Pourtant, les conditions de la cité montrent que le choix d'un système pré-représentatif, représentatif ou démocratique est capital pour le système social dans son ensemble. C’est opter pour la société de travail ou pour la société de loisir; pour une société (et une redistribution) égalitaire ou non; pour la seule liberté individuelle ou pour la liberté sociale et politique aussi ; pour un système social et politique hétéronomique ou autonomique. Le Pseudo-Xénophon reproche en effet à la démocratie de ne pas réserver aux plus compétents (et aux meilleurs) les responsabilités politiques car, d'une part, – et fort justement selon lui –, ils servent en priorité les intérêts de leurs pairs et, d'autre part, la question fondamentale de la démocratie n’est pas le bon gouvernement, mais que chaque citoyen soit libre à titre individuel et collectif. Or, « le démos ne veut pas que la cité soit bien gouvernée mais lui-même esclave [à savoir non autogouverné]; il choisit donc d'être libre sans se soucier du bon gouvernement de la cité » (Politéia des Athéniens, 6-9). Pour la même raison, Aristote remarque que la cité qui ne veille pas autant aux droits et aux libertés de ses membres est « pleine d'ennemis » (Politique, 1281b,32-35).
Aristote soulève par ailleurs une autre question qui, bien qu'elle soit hors de discussion aujourd'hui, est fort intéressante, au sens où elle se posera de plus en plus, de toute évidence, au fur et à mesure que le système moderne évoluera: qui est, en fait, le mieux placé pour gérer la politique, voire pour répondre le plus efficacement à la dimension opérationnelle de la politique? Le petit nombre qui connaît le dossier ou le corps social? Sur cette aporie, le Stagirite n'émet pas de réserves: « Chaque citoyen en effet sera, certes, moins bon juge que les experts, mais tous réunis seront ou meilleurs ou du moins pas plus mauvais » (Politique, 1282a, 18-25). Il précise plus loin que sa remarque est à voir sous l'angle non pas d’une société privée, pré-démocratique (pré-représentative ou représentative), mais d'une société constituée politiquement et fonctionnant comme entité globale, comme démos. Car là, « …ce n’est pas le citoyen membre du tribunal, du conseil ou de l'assemblée du peuple qui exerce l'autorité, mais le tribunal, le conseil et le démos. Chacun des citoyens mentionnés n'est qu'une fraction [molécule] de ces différents corps… Il est donc juste que le corps social soit souverain sur l'essentiel de la politique, puisque c’est de celui-ci que se compose l’ecclésia, le conseil et le tribunal » (1282a, 37-43).
Il s’ensuit que cette question ne se pose pas dans le système de la modernité, y compris pour le projet de bonne gouvernance, car le présupposé, à savoir la constitution du corps social en démos, n’est pas acquis. La société moderne6 a un statut de « société privée » et, au-delà, étant politiquement amorphe, elle ne délibère pas. En effet, disent les adeptes du système, la société moderne n’a pas la maturité suffisante pour y accéder.
Vraies ou non, cette remarque vise à soutenir l’hypothèse de la complexité des sociétés contemporaines, souvent invoquée pour justifier le rejet de la démocratie et, en revanche, le besoin du projet de bonne gouvernance. Notre thèse est, en somme, que l'appel à la compétence (des experts, etc.) répond non pas à la complexité accrue du monde contemporain, mais au stade primaire que traverse notre époque. Les sociétés d’aujourd'hui sont moins hiérarchisées, comparées à celles du XIXe siècle et, pourtant, elles sont plus complexes. L'individu du XXIe siècle assume des responsabilités multiples et se comporte de plus en plus comme s’il avait accédé à une certaine maturité, égalée au statut d’individualité politique. De toute façon, il rejette le comportement politique massif qu’il a connu dans son passé tout récent. Il comprend mieux les enjeux politiques que son homologue du XIXe siècle.
La cité, de son côté, était moins complexe au VIIe siècle, mais elle avait pourtant un système politique pré-représentatif. Elle devint ensuite plus grande, plus complexe et, au fil du temps, représentative et, au final, démocratique. L'impérialisme athénien se développa en parallèle avec l'approfondissement de la démocratie, c’est-à-dire avec la suppression de la division du travail social et politique au sein de la société politique. Et, on le sait, il fut très raffiné, tout en étant exercé par le démos et non pas par des spécialistes.
6. Nous avons remarqué plus haut que le projet de bonne gouvernance privilégie un environnement politique extra-institutionnel qui dépend de moins en moins du cadre réglementaire de l'État. Le cas des médias est paradigmatique à cet égard. Ils sont institutionnalisés comme moyens d'information, à savoir pour servir à la transmission de la « chose » politique vers la société. Cette réglementation s’appuie sur l’hypothèse que la politique est produite au sein de l’État et que la société est a-politique. Aujourd'hui, les médias fonctionnent de plus en plus comme champs de production de la politique et, du même coup, en tant que « sponsors » de communication pour le personnel politique. Ils offrent une communication politique au personnel politique en échange d’une concession d'espace public; des faveurs publicitaires contre des faveurs publiques. Le détenteur de médias devient ainsi le détenteur de fait de la politique. Et, en dernière analyse, un féodal informel, un propriétaire de facto du processus politique.
Quelle peut-être la solution? S’il ne s’agit pas de pérenniser la situation actuelle, la solution, d’après nous, se trouverait dans la séparation entre la propriété et le système : on ne propose pas la suppression de la propriété sur les médias (privés ou publics) mais de faire appliquer le principe « démocratique » au fonctionnement de ces moyens. Mais c’est une solution qui sera imposée par le passage du monde moderne à une époque technologique avancée, et non pas par une décision politique immédiate.
Et la transparence de la vie politique? Le projet de bonne gouvernance croit répondre le plus efficacement à cette question. Pourtant, son argument se heurte au fait que les groupes intermédiaires favorisent plutôt le cantonnement du processus politique dans les coulisses et sa soumission aux rapports de forces. Les médias aussi, au lieu de contribuer à la transparence du système, tissent autour d’eux un réseau de manipulation et de censure. En outre, les agents du système politique sont exempts de tout contrôle institutionnel, la praxis politique n'est pas soumise à la loi (ni donc à la justice) et finalement, la dynamique des forces politiques prévaut sur le processus politique de l’État. Le système n’étant pas représentatif, le personnel politique assume à la fois la fonction de représentant et de représenté, de mandant et de mandataire, et au-delà, est le seul responsable pour contrôler son action.
Conscient de ce problème soulevé dans les systèmes à pouvoir autonome, Aristote suggère la restitution, au minimum, de la qualité de mandant au corps social et, au-delà, la liaison de la finalité politique à la volonté sociale. La rencontre du démos – en sa qualité de mandant – et de la classe politique – en sa qualité de mandataire –, au cœur du système politique, obligera cette dernière – détentrice du pouvoir – à rendre compte de son action au mandant et, de ce fait, celui-ci sera amené à assumer des responsabilités de contrôle. Dans le projet de bonne gouvernance, cette problématique est entièrement absente. Il manque même, comme nous l’avons déjà signalé, le concept de droit politique et de justice politique. Sa méfiance vis-à-vis de l’État à pouvoir souverain ne l’incite pas à chercher un autre point de rencontre entre la politique et l’économie, qui passerait par leur rencontre via la société constituée en démos. En effet, la démocratie et même la représentation font que la politique rencontre l’économie à travers la société-démos et non pas via l’État, comme dans un système pré-représentatif formel. S’en tenant à l’approche traditionnelle de la politique comme tautologie de l’État, le projet de bonne gouvernance suggère essentiellement sa privatisation, à savoir sa soumission à l’économie de marché. Ainsi pense-t-il que l’intégration des forces de la société civile au pouvoir politique de l’État et, au-delà, l’introduction de la logique du marché dans son fonctionnement, vont rendre son action plus opérationnelle.
Pourtant, l’alternative de l'économie de marché n'est pas suffisante non plus. Dans le secteur privé, le propriétaire des moyens de production est en même temps détenteur du pouvoir de l'entreprise. Il a donc le pouvoir de contrôle mais il n’est pas soumis lui-même au contrôle. Il ne s'agit pas de lui demander d’être honnête quant à la gestion de sa fortune. Dans l'État, le détenteur du pouvoir politique n’est pas, formellement parlant, son propriétaire. Il gère un système qui ne lui appartient pas. Mais il n’appartient pas non plus à personne d’autre, ce qui explique qu’il s’identifie lui-même avec la notion d’espace public. La nation est, à son tour, un concept abstrait dont, d’ailleurs, la définition est laissée au détenteur du pouvoir de l’État. Tout cela montre pourquoi le détenteur de l’État n’est soumis à aucun contrôle et que c'est bien lui qui définit authentiquement le contenu du but de la politique.
Dans ce contexte, l’adjonction des forces intermédiaires – de la dite société civile – ne vise pas au contrôle, mais au partenariat de l'espace public, sous l’angle des rapports de forces. C’est pourquoi l’insistance sur l'efficacité – sur la bonne gouvernance – va de pair avec l'accentuation des inégalités et l’appropriation de l’État.
7. Nous pouvons conclure que le système de bonne gouvernance correspond à la phase que traverse le système moderne, qu’il ne sort pas de son contexte. Il demeure profondément pré-représentatif, pour ne pas dire qu’il pèse sur le système moderne de plusieurs points de vue, dans la mesure où il cherche à articuler la relation de la politique – en l’occurrence, de l’État – avec l’économie privée par le moyen des groupes de la société civile. De ce fait, il s’ensuit que le projet de bonne gouvernance écarte lui aussi la société de la politique. Il cherche non pas la rencontre de l’économie avec la société dans l’espace de l’agora politique mais la soumission de l’État à la règle de l’agora économique.
D’un autre point de vue, la dimension opérationnelle de la politique n’épuise pas sa thématique. On dirait même que sa place dans le processus politique d'ensemble dépend de la nature du système politique. Ainsi l'accent sur les autres aspects de la politique, issus de la liberté, ne dévalue-t-il pas l’importance de sa dimension opérationnelle. En somme, la dimension opérationnelle de la politique n’est pas contraire à la démocratie. Elle montre cependant que la politique est une affaire plus complexe, qui renvoie à et en même temps détermine la nature de la société. De ce point de vue, l’efficacité de la politique en matière économique est aussi conditionnée par l'harmonie établie entre le social et le politique. De la même façon, bien que l’argument de la compétence en politique soit mis en avant par les tenants des idéologies anti-démocratiques, la réponse à la question de savoir «qui est le plus capable d'assumer l’aspect opérationnel de la politique » n'est pas unidimensionnelle. En dernière analyse, le fait de savoir qui est plus compétent pour assumer la fonction politique dépend du caractère du système politique et non pas des arguments des dits spécialistes.
Quoi qu’il en soit, le projet de bonne gouvernance révèle tout simplement une évolution de fait du système pré-représentatif moderne qui répond aux rapports de forces défavorables à la société, produite suite au dépassement de l'État souverain que promet ladite « mondialisation ». Il exprime dans le fond un projet d'ordre transitoire, qui pourrait annoncer le passage à la représentation, plutôt qu’un système politique tout court.
Éléments de bibliographie
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Pour le Programme des Nations Unies pour le développement, Gouvernance démocratique, voir le site : http://www.ci.undp.org/bonne%20gouvernance.html
Voir aussi le très intéressant site (et ses liens) de l’Agence canadienne de développement international/Canadian International Development Agency pour la Bonne Gouvernance, http://www.acdi-cida.gc.ca/cida_ind.nsf, 2004.
1 In F.Maron, I.Horga, R.de la Brosse (eds), Media and the Good Governance Facing the Challenge of the EU Enlargement, Bruxelles, International Institute of Administrative Science, 2005
2 Le terme « governance » fut introduit par l’économiste américain Ronald Coase en 1937 dans son article « The nature of the firm ». Le concept apparaît chez les économistes, surtout dans les années 1970, avant d’être adopté dans les relations internationales. Dans les années 1980, il sera utilisé aussi, accompagné de l’adjectif « bonne », pour « définir et préciser les critères de ‘bonne administration publique’ applicables à des pays fortement incités (en échange de prêts) à mettre en place des réformes institutionnelles utiles à la réussite de leurs programmes économiques. Ils prônent la ‘bonne gouvernance’, soit une nouvelle gestion publique fondée sur une logique entrepreneuriale. Ils préconisent l’amaigrissement de l’État providence, le ciblage des bénéficiaires des politiques sociales, la privatisation des services publics… » (Institut de la gouvernance)
4 Nous allons voir plus bas que le concept de bonne gouvernance a occupé une place clé dans la discussion politique au sein de l’État.
5 Dans ce cas, la problématique concernant l’évolution du système politique moderne serait focalisée, comme nous allons le voir plus loin, sur sa qualité représentative ou démocratique, c’est-à-dire sur la constitution ou non du phénomène politique en termes d’autonomie du social. Voir notre étude intitulée « La démocratie comme liberté », in Dominique Damamme (éd.), La démocratie en Europe, Cahiers Politiques, L’Harmattan, Paris, 2004, pp. 9-20.
6 La justification qui est avancée à cet égard est que l’échelle communicationnelle ou spatiale de nos États ne permet pas la constitution d’un système politique « à l’athénienne » et qu’en tout cas la conception moderne de la liberté est de loin supérieure à la conception antique. Nous considérons ces arguments superficiels comme révélateurs de l’impuissance de la science moderne à concevoir le fond de l’enjeu. La question n’est pas d’appliquer la démocratie athénienne à nos sociétés anthropocentriques, mais le principe démocratique à grande échelle. Et à cet égard, les conditions pragmatologiques ne sont pas réunies, et la société n’a pas acquis la maturité nécessaire. En dehors de cela, l’argument qui veut que la liberté individuelle soit supérieure à la liberté à la fois individuelle, sociale et politique, ne mérite d’être commenté.
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