Πέμπτη 7 Οκτωβρίου 2010

Georges CONTOGEORGIS LA PARTITOCRATIE COMME SYSTÈME POLITIQUE


Georges CONTOGEORGIS

LA PARTITOCRATIE COMME SYSTÈME POLITIQUE1



  1. La notion de partitocratie


La notion de partitocratie, ou règne des partis, définit la structure et le fonctionnement du phénomène politique à la phase au cours de laquelle le système partisan s’autonomise et domine le système politique formel d’une manière telle que le premier détermine le fondement logique et la dynamique politique du second. Par conséquent, la partitocratie s’inscrit dans le système politique où l’approche et, naturellement, la constitution de la politique sont réalisées en termes de pouvoir, avec lequel la partitocratie se confond, étant envisagée à peu près comme un tout tautologique unique.

On retiendra trois composantes de la partitocratie. La première est liée à la constatation que le système politique introduit par la Charte fondamentale recule au profit d’un système politique réel, incarné par le phénomène partisan. Les institutions constitutives de l’État se muent en institutions de confirmation formelle d’une domination politique qui, puisqu’elle échoit essentiellement au parti, sert finalement à les assujettir. Le Parlement, le gouvernement, l’État dans son ensemble sont autant de manifestations du processus politique appelé à ratifier la volonté politique du parti et, en l’occurrence, de son noyau directeur. Autrement dit, ces institutions jouent le rôle de prolongements exécutifs de l’establishment partisan. Le parti, absorbant l’État dans son dispositif, devient, d’intermédiaire de la société et gestionnaire du système politique qu’il était, l’usufruitier de sa volonté politique et, pour finir, le possesseur de la politique.

Pour en arriver là, le contrôle transversal des pouvoirs de l’État par le parti a été fondamental, après l’homogénéisation anthropocentrique de la société et la consécration du suffrage universel. Le parti, la force politique qui obtient la majorité aux élections, occupe de manière indivise le pouvoir politique. La logique même de la majorité électorale2 présuppose que pour que soit formé en fin de compte un gouvernement (ledit pouvoir «exécutif»), le Parlement (ledit pouvoir «législatif») doit être contrôlé par la même force politique. Mais alors, la distinction entre État et parti devient au fond difficile à discerner aussi au niveau de l’administration et de la justice (ledit pouvoir «judiciaire»), surtout là où l’enjeu est politique ou qu’intervient l’intérêt immédiat du parti. La fonction articulatrice de la domination politique et de l’hégémonie partisane est un principe général auquel n’échappent ni le système politique qui plaide pour le pouvoir multipartisan, ni, avec certaines spécificités, ledit système présidentiel.

Ce qui paraît paradoxal mais est tout à fait logique pour la modernité, c’est que les Chartes fondamentales insistent pourtant soit à ignorer totalement le phénomène partisan, soit à l’aborder mollement, bien qu’il soit communément admis que même s’il ne se mue pas en partitocratie, il joue, par la force des choses, un rôle décisif dans le fonctionnement du système politique3. Est également liée à cette approche du phénomène partisan la constatation que le parti, tout en étant une institution qui incarne le système politique, ne se soumet pas aux principes de ce dernier. Il est donc laissé aux rapports de force tant pour ce qui est de son organisation interne que pour ses fonctions politiques. En ce cas, le système politique devient inévitablement lui aussi, par analogie, autoritaire ou «monarchique» et, en tout cas, franchement personnifié. Enfin, c’est le leader, et non pas le parti, qui est reconnu, en principe, comme dépositaire du mandat politique.

La deuxième composante de la partitocratie concerne les fonctions du phénomène partisan dans le système politique, c’est-à-dire la relation entre la société et la politique. Dans le système politique de la modernité, cette relation est de nature pré-représentative, et plus précisément médiatrice. Elle est pré-représentative parce que, dans son système politique, le principe représentatif n’est pas reconnu. Ni la qualité de mandant ni le but de la politique ne sont laissés au corps social, de sorte que soit bâtie sur cette base la rencontre entre société et politique. La qualité de mandant est possédée en totalité par l’État mandataire, et le but de la politique est rapporté à la «nation», à l’intérêt «général» ou «public», mais non à la volonté ou à l’intérêt de la société. L’État, la classe politique représentent la nation, non pas la société. Cette relation est, plus précisément, médiatrice, au sens où les forces qui s’intercalent entre la société et l’État, qui incarne le système politique, ne sont définies comme représentatives ni quant à leur structure ni au regard des fonctions qu’elles remplissent. Pour ce qui est de leur structure, elles ne sont pas régies par le principe représentatif et, bien entendu, ne disposent pas d’une légitimité représentative directe. Quand elles ne charrient pas des intérêts propres, elles assument d’office des rôles de médiation pour assurer l’accès au gouvernement de l’État. Pour la modernité, la société a donc un statut privé et, en tout cas, n’est pas un élément constitutif de la politéia4.

Si ces composantes, qui constituent l’équilibre entre la société privée, les forces intermédiaires et l’État, sont réunies, le système partisan remplit un rôle fondamental dans la gestion du système politique, que l’on pourrait peut-être qualifier de partitoarchie (l’assurance de leadership par les partis). Ce rôle ne contredit pas ni, encore moins, ne supprime le caractère de la politéia moderne. On pourrait même dire que le développement d’un espace autonome des forces intermédiaires (celui des groupes de pression ou des intérêts «extra-étatiques») dans le contexte du système politique pourrait compenser, jusqu’à un certain point, le déficit d’émancipation politique de la société et mener du même coup à la dévalorisation du parti en agent d’arbitrage et de synthèse (la notion de «gouvernance»5 au lieu de «gouvernement») des politiques de l’État.

Qu’est-ce donc qui ferait passer le parti de la «parti-archie» à la partitocratie ? Est en tout cas indispensable le concours des deux composantes ci-dessus, qui situent la société dans la sphère privée et définissent le système politique comme fondamentalement souverain, c’est-à-dire incarné par l’État et, au-delà, non représentatif (notion de «société médiatisée»). Dans ce cadre, il s’avère absolument nécessaire de renverser la base légitimisante qui implique la dichotomie entre la société et la politique, qui ne peut survenir que par un développement politique élevé de la société. En l’occurrence, il est indispensable qu’il existe une société qui s’auto-définisse non plus comme société privée mais comme société mandante, c’est-à-dire comme paramètre de la représentation politique, et qu’en même temps, le système politique la situe en dehors de lui-même et, qui plus est, dans un contexte médiatisé.

Cela signifie que la société rejette sa physionomie a-politique, qui est le propre de l’ère (de la proto-construction) anthropocentrique et se traduit sur le plan politique par un attachement grégaire au médiateur/protecteur (parti, syndicat, groupe de pression, «mouvement», etc.). Aux antipodes du comportement politique grégaire, l’individualité politique présage désormais l’incompatibilité du système pré-représentatif avec l’essor politique de la société ou, autrement dit, la contestation de la fonction médiatrice des groupes d’intérêts et du système partisan traditionnel. Du même coup, elle pose comme postulat la déchéance des idéologies de la proto-construction anthropocentrique (socialistes, libérales, qui émanent d’un système identifié à la propriété, etc.) et la rencontre des acteurs de la société avec les problèmes d’un contexte nettement anthropocentrique.

2. Partitocratie et modernité


La gestion de l’ancien ordre social et politique, lié à la proto-construction anthropocentrique, a été assumée essentiellement par les forces politiques qui ont constitué le système partisan. Leur différenciation quant à la nature et l’ampleur du nouveau système (anthropocentrique), les situera, selon le cas, du côté du «conservatisme», qui défendra l’hégémonie de la classe bourgeoise, ou du côté du «progrès», qui annoncera l’incorporation dans le système y compris de ses acteurs sociaux «non privilégiés», dans l’axe d’un ordre de justice plus équilibré ou, éventuellement, d’une perspective pleinement égalitaire sur le plan économique.

Ainsi le conditionnement idéologique et de classe du phénomène partisan exprime-t-elle en réalité les dimensions d’un processus unique qui tend finalement à la construction du nouveau contexte anthropocentrique, post-féodal. Ce processus sera achevé, pour ce qui est de sa première phase, juste avant la fin du XXe siècle : un siècle environ après la généralisation du suffrage universel, qui a introduit la qualité formelle de citoyen, et deux siècles après que les déclarations des droits de l’homme auront élaboré le cadre de la volonté politique des sociétés de faire sauter le despotisme féodal6.

En cela, le phénomène partisan semble politiquement incontesté et même, continue à remplir une fonction organique, liée à la nature du système politique. On pourrait dire que le système partisan s’est déclenché avant lui puisque, bien que ce dernier ait mis en avant des buts de politique non compatibles, on l’a vu, avec la volonté sociale, il n’a pas cessé de rencontrer la société à travers l’idéologie commune et, en tout cas, de par sa légitimation électorale et sa position de protecteur/guide et représentant/médiateur au niveau du pouvoir. Cette fonction du phénomène partisan l’a assurément soumis à la logique du système politique moderne, l’empêchant d’évoluer en pure partitocratie.

La consolidation d’enclaves importantes de la société, conséquence du développement de ses paramètres anthropocentriques (comme l’économie chrématistique, le système de communication, etc.), va mener à la reconfiguration du champ médiateur au profit des groupes sociaux fondamentaux et au détriment du système partisan. La notion de «société médiatisée», qui s’exprime politiquement par le projet de «gouvernance», se dégage, parallèlement à la chute des idéologies de proto-construction anthropocentrique et à la victoire d’une conception de la politique purement gestionnaire. En tout état de cause, cependant, la politique continue à être abordée comme une notion «opérationnelle». La société en tant que globalité, bien que s’étant distanciée de la conception grégaire antérieure de sa fonction politique, n’en cesse pas moins de s’auto-concevoir comme un particulier. Son individualité politique est trop en retard pour incarner la qualité de mandant.

Ainsi la notion de «gouvernance» suggère-t-elle que, à l’ère «post-idéologique», le parti n’est pas admis comme gestionnaire univoque de l’État/système. Les forces intermédiaires revendiquent leur participation à la gestion du pouvoir politique, puisque cette participation prédit, croit-on, une place nettement meilleure au ciblage de l’intérêt public et à la redistribution du bien «public». En d’autres termes, l’époque de la «société médiatisée» et de la «gouvernance» appartient à un stade antérieur à celui de la partitocratie, au sens où, dans cette dernière, la société se comporte politiquement désormais, comme on l’a vu, en mandant, sauf que le système lui dénie cette qualité.

Nous concluons donc que le concept de «société médiatisée» est propre à une société «pré-politique» et, en tout cas, privée, qui empêche, certes, l’appropriation totalitaire ou autoritaire de l’État (par le parti ou d’autres enclaves de pouvoir), mais ne pousse pas directement à passer de la partitoarchie à la partitocratie. D’ailleurs, en soi, ce concept de partitocratie est en conflit avec l’argument de «gouvernance» des groupes intermédiaires de premier degré, puisque ses agents, les forces politiques, revendiquent une mise en réseau directe avec la société7.

Mais si la partitocratie ne correspond pas à la phase de maturité ni, par conséquent, au statut d’incompatibilité de la société moderne avec son système politique pré-représentatif, le paradigme hellénique issu de l’État nation, au contraire, en constitue la manifestation suprême. Il est intéressant de se demander ici dans quelle mesure il est inévitable que les sociétés de la modernité passent par la phase de la partitocratie, ou que ce système doive n’être qu’une simple spécificité hellénique ; mais en ce cas, la question qui se pose est de savoir pourquoi il apparaît dans le cas de la Grèce moderne.

La réponse à ces questions impose tout d’abord de prendre conscience que la relation entre parti et société disposant d’une individualité politique, dans la mesure où elle ne se réalise pas sous le signe du principe représentatif, est extra-politéienne et en tout cas inégale. Elle s’élabore non pas à l’intérieur du système politique, sous l’angle d’une rencontre entre mandant et mandataire, auquel cas la société dans son ensemble serait conçue en termes de corps constitué politiquement et, par extension, comme dèmos, mais comme relation extra-politéienne impliquant l’agent du système politique et le «citoyen sujet» ou «citoyen particulier». Dans ce cadre, où la qualité de mandant est détenue elle aussi par les agents de l’État, la fonction politique s’avère extrêmement défavorable au citoyen, car il rencontre le pouvoir politique en étant dépourvu de la base mandataire de la citoyenneté et, au fond, uniquement au moment du processus électoral. Ainsi n’y a-t-il pas, dans la partitocratie, une simple relation de clientèle ou, autrement dit, un comportement dérogeant à la règle du système politique. La relation de clientèle s’avère un trait constitutif du système politique, devient elle-même système, tautologiquement équivalente à la partitocratie.

3. La partitocratie, «cause efficiente» du système politique


Dans la mesure où le phénomène partisan évolue de facteur du régime politique en système politique, il se définit de manière double, en vertu tant de la domination politique qu’il exerce réellement que de l’objet ou du but de la politique qu’il invoque.

La partitocratie aborde la politique en termes de possession exclusive. La notion de possession en politique n’équivaut pas par définition à son appropriation. Elle renvoie à un projet redistributif plus large qui ne concerne pas directement les fondements du système (relations de propriété, nature de la société, etc.), comme dans le cas du projet de classe ou idéologique. Elle se concentre essentiellement sur la gestion du devenir social et sur la (re-)distribution du bien «public», dans le cadre d’un contexte d’équilibres politiques où les membres du corps social sont impliqués constitutivement avec les agents des forces politiques, d’une manière durable, dépassant la simple conjoncture électorale.

Ainsi la partitocratie, en tant que système politique, déplace-t-elle l’épicentre du contexte de l’espace public incarné par l’État, vers le champ réel de la politique, que l’espace public, subordonné, est appelé à servir. La projection du système politique à la place de l’État suggère, certes, une relation différente, plus énergique désormais, entre société et politique ; mais à cette phase, la logique de la domination politique du pouvoir – qui assume à la fois les fonctions de mandant et de mandataire – ne s’en trouve pas supprimée. En d’autres termes, elle entraîne le déplacement du champ de la politique en direction de la société qui, pour se réaliser, présuppose un fort développement de l’individualité politique de ses membres.

Le corps social, de son côté, ne se contente plus d’une participation politique indirecte, c’est-à-dire par l’intermédiaire d’un tiers, et au-delà, de manière non institutionnelle, en lisière, et non à l’intérieur du système. Il refuse donc de concevoir le pouvoir politique (la politique différenciée) comme trait caractéristique inhérent à sa propre nature, qui appartient, à titre de propriété, à l’État.

Dans ce cadre, la rencontre de la nature non représentative du pouvoir politique et de la logique représentative de la société plaide finalement en faveur de la dévalorisation du rôle de la fonction médiatrice des forces intermédiaires. La société opte pour l’osmose directe de ses membres avec les agents du pouvoir, et les agents du pouvoir politique, pour la négociation directe de leur poste avec le citoyen-électeur. Dans le même temps, le parti refuse entièrement l’introduction du principe représentatif dans le système politique parce que ce principe sape le fondement de son hégémonie politique, soumettant le personnel politique et le pouvoir politique à la volonté du mandant, à savoir du corps collectif politéiennement constitué (dèmos).

Donc, le passage à la partitocratie indique que le corps social a clairement franchi le stade de son statut privé et, au-delà, de la conception extra-systémique ou médiatisée de la «participation» politique, faisant l’expérience directe de la notion d’agora politique. La différence est fondamentale : dans le système pré-représentatif, la fonction politique de la société est ou bien grégaire et consensuelle par rapport aux forces intermédiaires, ou bien pallie l’individualité politique et, par extension, est un prosélyte du système clientéliste. Dans le système représentatif au contraire, le pouvoir politique (le mandataire) est manifestement soumis à la volonté sociale politéiennement constituée du mandant. La constitution politéienne de la société (en dèmos) est, en dernière analyse, le contexte naturel pour un fonctionnement collectif de l’individualité politique8.

En cela, la partitocratie fonctionne de manière déformante face au type idéal du système politique de la modernité. À cette phase, les groupes intermédiaires originels sont coincés entre une société politiquement développée et les agents du système politique incarné par l’État, et la société s’effrite en tant que collectivité, «se molécularise» politiquement, pour que fonctionne la relation personnelle entre citoyen et homme politique.


4. Origines et fondements de la partitocratie


La différenciation, dans l’espace européen, entre système politique réel et système politique formel ne semble pas se combiner à une transformation, fût-elle relative, de la «parti-archie» en partitocratie. Au contraire, tout semble montrer que dorénavant, se construit à un rythme accéléré le champ idéologique et pragmatologique de l’affaiblissement du phénomène partisan, qui se concrétise par le passage du «gouvernement» à la «gouvernance» du système politique de l’État. Inversement, la partitocratie se présente comme le système politique dominant en Grèce au XIXe siècle et, pour une large part, au XXe siècle. En ce sens, la partitocratie peut être qualifiée d’affaire typiquement hellénique.

Il est à cet égard d’un intérêt particulier d’isoler certains des traits caractéristiques de la société grecque et de son système politique qui ont permis au phénomène de la partitocratie de prospérer.

Nous retiendrons notamment les quatre suivants :

- Premièrement, la reconnaissance dès le départ (1821), dans le cadre de l’État nation grec, du droit de vote comme étant universel, c’est-à-dire de la qualité élémentaire de citoyen. Cette reconnaissance n’est pas venue d’une générosité excessive de la classe politique, mais émanait de la situation anthropocentrique générale, que, comme nous le verrons par la suite, la société hellénique avait vécue avant son évolution en État nation. Un peu plus tard, en 1832, en Grande-Bretagne, 7% seulement de la population masculine avait le droit de vote ; en France, le principe en sera introduit formellement en 1848, mais en réalité, ne sera pas effectif avant la fin du siècle9. Le suffrage universel et, essentiellement, la qualité de citoyen, ne se généraliseront dans les pays européens que dans les deux premières décennies du XXe siècle.

Il va de soi que jusqu’à nos jours, la qualité de citoyen continue à être liée à l’État principalement, et de manière indirecte seulement au système politique. Elle relève donc de «l’appartenance» à l’État et non d’une relation de partenariat avec la politéia10. Cette constatation, si on la combine au but en général de la politique qui régissait les sociétés européennes au cours de cette période, nous amène à conclure qu’au moment même où les sociétés européennes se consumaient en luttes sociales et politiques pour leur construction anthropocentrique (pour se débarrasser de la féodalité et bâtir une société anthropocentrique primaire), le projet de la société grecque était focalisé sur des objectifs clairement post-protoanthropocentriques.

- Deuxièmement, le système partisan, dans ce cadre, a acquis dès la première heure une référence qui transcendait les couches sociales (en s’édifiant sur des bases qui n’étaient pas liées aux classes) et a été, pour ce qui est du but de la politique qu’il était appelé à servir, franchement post-idéologique. Il visait donc à faire fonctionner un système (anthropocentrique) préexistant et non à en constituer un à partir de rien. Le discours politique idéologique et le choix fondé sur la classe, au sens anthropocentrique primaire et, de ce fait, moderne du terme, sont au fond inconnus au système grec de l’État nation. Jamais le parti n’imaginera agir en «libérateur» ni surtout en guide politique de la société ou, au moins, de ses couches les plus défavorisées.

- Troisièmement, en d’autres termes, le corps social bénéficie d’un développement social et politique sans comparaison. Ce développement n’est manifestement pas lié au niveau économique ou au niveau de vie de la population : il est à rattacher à l’acquis historique, dans lequel la liberté fonde une articulation solide, qui va au-delà de sa dimension individuelle, avec la situation sociale et politique de l’individu. Il est intéressant de relever que la socialisation même de tout membre de la société grecque se réalise à travers sa référence politique, et non l’inverse.

Dans la culture politique grecque qui a immédiatement précédé l’État nation, la notion de public fait tautologie avec le corps social politiquement constitué (le dèmos), et non avec l’État ; la politique est décrite comme un «koino» («chose commune»). Lorsque la terminologie grecque prétend que le citoyen «a la parole aux koina, aux affaires communes», elle veut dire qu’il a une compétence de décision et non pas simplement un «droit d’expression (extra-institutionnelle)» au sens moderne du terme. Cet héritage n’empêchera pas la société grecque de se comporter politiquement, y compris dans le système politique pré-représentatif de l’État nation, comme si elle possédait la qualité de mandant. Jamais elle ne s’accommodera du statut de société privée auquel la réduit le système politique de la modernité post-féodale11.

Ces remarques préliminaires répondent assurément à la question de savoir pourquoi la partitocratie est affaire de la société hellénique et, inversement, pourquoi elle ne se rencontre pas dans les sociétés européennes, bien que celles-ci soient censées se situer en tête de l’évolution anthropocentrique moderne. Faire remonter cette différenciation aux origines diverses des pays européens et plus généralement du monde moderne par rapport aux sociétés helléniques renvoie à la voie différente par laquelle elles sont entrées, les unes et les autres, dans le cosmosystème anthropocentrique à grande échelle. Pour les pays européens, l’État nation a été le contexte naturel du passage de la société despotique «de sujets» à la société anthropocentrique de citoyens. Chaque pas accompli en cette direction constituait aussi un pas vers la libération de l’individu et de l’ensemble social par rapport au despotisme féodal. La genèse de la société politéienne non despotique est une conquête fondamentale. Dans ce cadre, le parti sera appelé à servir, comme nous l’avons vu, le but de l’État nation, sous l’angle de la transition anthropocentrique de chacune des classes sociales.

Les sociétés helléniques, en revanche, allaient adhérer au cosmosystème anthropocentrique dès l’Antiquité créto-mycénienne et incarner de manière stable, c’est-à-dire ininterrompue, sa dynamique jusqu’au seuil du XXe siècle. Le fondement politéien de ce premier cosmosystème anthropocentrique est la «cité», soit comme État indépendant soit comme cité/koinon autonome dans le cadre de la cosmopolitéia œcuménique qui a dominé dès l’époque alexandrine. Ainsi l’achèvement politéien de la «cité» continue-t-il à être la réalité dominante dans la période ayant immédiatement précédé la genèse de l’État grec moderne. C’est pourquoi tous les projets liés à la palingénésie, révolutionnaires ou non, aux XVIIIe et XIXe siècles, visent non pas à éliminer la féodalité et instaurer un État semi-despotique ou, du moins, de type national, mais, essentiellement, à purifier le système cosmopolitéien hellénique des fardeaux ottomans.

Nous en concluons que le développement politique de la société grecque est héréditaire, lié à la nature profondément anthropocentrique du système des «koina» (communs ou cités) qui régnait avant l’État nation, contrairement aux sociétés européennes qui se développent peu à peu par leur entrée dans l’anthropocentrisme via le système des communes, dans le contexte de l’État despotique, et plus tard national. Cette différence fondamentale de la société grecque, par comparaison avec un monde moderne qui rencontre pour la première fois l’acquis anthropocentrique, au fond, au cours du XIXe siècle seulement, et surtout, au sens pur du terme, au XXe siècle, explique aussi ses spécificités, évoquées plus haut. La classification de ces spécificités dans la catégorie du «retard» n’enlève rien au fait que la modernité sera conduite beaucoup plus tard à les adopter12.

- Quatrièmement, les notions d’espace public, d’intérêt public, de contrat social et autres du même genre, le principe de l’absorption du système politique par l’État ainsi que la domination politique univoque du pouvoir central, conjuguée à sa référence non représentative, ont un parcours extrêmement difficile dans le système politique grec moderne. Le citoyen, bien que privé de sa base politéienne, continuera à se comporter face au politique comme s’il disposait encore de la qualité de mandant, voire de l’autonomie politique. Ce comportement eut pour effet de rappeler au possesseur du pouvoir de l’État que néanmoins, sa base de légitimation, le but du vote et, par extension, de la politéia, était différente de celle qui est la propre de la nature du système politique/État.

Dans le même temps, des notions comme le «koino», qui traduit, on l’a vu, la société politéienne (au lieu de l’appropriation étatique de l’espace public) et la dépendance sociale du but de la politique, dénient toute assimilation du phénomène politique et du système politique avec l’État. La «concorde» (homonoia) ou l’«amitié» (philia) sont le terrain de rencontre des membres de la société, au lieu du «consensus» qui renvoie à la disponibilité de la société par rapport aux politiques de l’État.

L’identité politéienne, avec ses multiples expressions, bien que destinée à se soumettre à l’épreuve à la fois de l’identité nationale et de la souveraineté étatique qu’introduira le besoin de la modernité de dépasser son boulet féodal et de construire ses paramètres anthropocentriques fondamentaux (par exemple, l’accumulation économique à l’intérieur de l’État), restera un aspect inavoué mais important de la vie politique grecque moderne. Ces considérations expliquent pourquoi la classe politique elle-même ne cessera finalement d’être légitimée dans un climat de contestation continuelle au sens où, privée de l’argument de classe ou idéologique, inhérent aux sociétés de transition à l’anthropocentrisme, elle sera appelée à articuler son discours politique en prenant pour épicentre le projet redistributif du «koino» polpulaire.

Cette particularité du système politique grec et, par extension, le fait qu’il semble faire l’expérience de fonctions et de pratiques politiques anthropocentriquement avancées bien avant les pays qui se situent à l’avant-garde de ladite modernité, acquiert une importance particulière pour l’étude du phénomène politique en général. D’autant plus que la Grèce, comparée à la société grecque en général et aux pays de la modernité, présente un net retard en matière de performances économiques – considérées à juste titre comme générant le développement politique – et surtout, occupe une place marginale dans le système mondial.

Vu sous un autre angle, le paradigme grec enseigne que la dissolution d’un contexte institutionnel et politéien tel que celui du cosmosystème hellénique, qui a donné naissance et a élevé l’individu politique en tant que conscient de lui-même et/ou comme entité politique autonome, n’entraîne pas du même coup la disparition des mentalités correspondantes et de leur logique politique13. Il était naturel qu’elles restent des paramètres déterminants de la vie politique ultérieure au sein de l’État nation et que, de ce fait, elles adaptent le système politique anthropocentriquement primaire à leur impératif. En tout état de cause, la partitocratie, sous ses diverses manifestations, sera la résultante de cette fonction organisationnelle de la relation entre société et politique et, d’un autre point de vue, la «constante» du système politique grec moderne : le premier, historiquement, et le plus long, dans le cadre de l’État nation, régime parlementaire, en termes de suffrage universel.


5. La partitocratie entre confirmation et abolition


Nous avons déjà observé que plus on se rapproche de la fin du XXe siècle, plus clairement on constate la transition progressive des sociétés modernes vers une individualité idéologique et politique qui, pourtant, loin de remettre en cause directement la logique du système médiateur, la renforce au contraire à moyen terme. Et cela parce que cette individualité politique est encore primaire, au sens où elle correspond à un stade pré-représentatif de l’évolution politique de l’être humain. Par conséquent, on conçoit qu’elle ne suffise pas, à elle seule, à soulever la question du passage du citoyen au statut de mandant. Il est manifeste qu’à cette phase, non seulement le passage à la partitocratie ne se profile pas mais, comme nous l’avons déjà laissé entendre, la position même du phénomène partisan en tant que partitoarchie est menacée par les forces intermédiaires de premier degré.

Dans le même temps, il semble que le passage à la partitocratie ne soit pas favorisé par l’avènement du nouvel environnement communicationnel technologique, dans la mesure où, selon toutes les indications, il s’offre à long terme à la création des conditions qui conduiront à une transformation morphologique du système politique en place en une variante plus représentative. Cette précision est importante car elle suggère l’idée que la partitocratie est le propre de sociétés qui, bien que vivant déjà un stade anthropocentriquement supérieur d’émancipation, homothétique du moins au principe représentatif, sont amenées, pour des raisons qu’il n’y a pas lieu d’expliquer ici, à adopter un système primaire ou pré-représentatif.

Effectivement, au cours de la phase d’émergence anthropocentrique de l’État à grande échelle cosmosystémique, l’avènement du nouveau système de communication technologique provoque fondamentalement et en tout cas favorise l’élargissement du champ de la politique. Le concept de champ de la politique est, on l’a vu, capital pour l’approche de la mutation morphologique du phénomène politique dans sa phase protogénétique et plus spécialement du phénomène partisan à notre époque. Il se caractérise en l’occurrence par la diffusion de l’essentiel de la dynamique politique, de l’espace clos du pouvoir politique institutionnalisé au domaine de la société, diffusion qui provoque à son tour l’incorporation inévitable du corps social au processus politique. À l’ère pré-technologico-communicationnelle de la «cité», cette incorporation avait lieu en termes de rencontre physique du citoyen avec l’homme politique. Mais le passage à la technologie de la communication a pour effet que la relation politique personnelle se construit sous le signe de l’intermédiaire «virtuel», au niveau duquel, d’ailleurs, se développe aussi le discours politique dialectique. Désormais, la relation politique est dé-personnifiée – en tant que proximité physique –, mais en même temps, elle se réalise en termes d’individualité politique. Toutefois, dans la mesure où la diffusion du politique dans le social ne mène pas à l’instauration collective de ce dernier en une sorte d’agent politéien, la politique, au-delà de l’État, se développe comme dynamique et non comme processus, c’est-à-dire au niveau des rapports de force et, en large part, dans les coulisses.

Autrement dit, alors que le nouvel environnement communicationnel invoque une relation dialectique directe du politique au social, qui préfigure l’émancipation politique de l’individu et réalise l’élargissement du champ de la politique, cette relation est pourtant réfutée, en fait, par le caractère pré-représentatif du système politique. En cela, on peut dire que le passage à l’ère de la technologie de la communication, combiné au maintien du système politique moderne, fait que la relation clientéliste de l’homme politique avec le citoyen s’atténue et qu’à sa place s’introduit la relation clientéliste du personnel politique avec les forces intermédiaires privées. Au lieu du gouvernement représentatif, les sociétés modernes choisissent la «gouvernance» médiatisée, qui leur est dorénavant familière.

Cette contradiction, que met en évidence dans toute son étendue le dualisme extrême entre système politique réel et système politique formel, ne veut pas dire que les coulisses et les rapports de force occupaient auparavant une place subalterne dans le fonctionnement du système. Simplement, à cette phase, elles sont de plus en plus exposées sur le devant de la scène de l’espace public et par conséquent, la cause légitime de leur contestation existe de manière plus immédiate.

Pour comprendre cette évolution, il est intéressant de suivre, par exemple, les modifications du télé-espace. En effet, dans les pays de la modernité surtout, le télé-espace est abordé essentiellement comme moyen d’information, bien que l’on repère déjà un fonctionnement du «moyen» comme champ de la politique. Dans ce cadre, la «partitocratie», avant même de naître, devient l’otage des forces de la «société médiatisée» et notamment de l’establishment télécratique qui, tirant profit de l’approche du «moyen» en termes d’économie privée (où le propriétaire incarne le système), parvient à assujettir le bien public par excellence, la politique, aux ordres de la propriété. La gestion de la politique dans le télé-espace, sous le prisme de la propriété privée, découle, au fond, des manies conservatrices de la modernité, qui refuse d’y distinguer des fonctions du champ de la politique et, donc, de le soumettre au dispositif réglementaire du système politique14. Dans ce cadre, bien que la classe politique établisse un dialogue direct avec la société, ce dialogue passe pour l’essentiel par la communication électronique et, de ce fait, est soumise aux servitudes dictées par les intérêts de l’establishment télécratique, dont il est désormais plus qu’évident qu’il a fait de la classe politique sa clientèle.

Ces réalités préfigurent exactement aussi les perspectives. Pour la société grecque, le dilemme continue à se poser en termes d’adaptation à la règle moderne de la «société médiatisée» et, au-delà, de la «gouvernance», et non en termes d’harmonisation du système politique au principe représentatif. Ainsi l’exigence de modernisation politique se concentre-t-elle sur le passage d’un système de clientélisme qui lie la société à la politique, à un système de clientélisme qui fait dépendre la politique, y compris le système politique, des forces intermédiaires techno-économiques.

Dans un cadre plus large, l’annonce de la «fin de l’histoire» a effectivement un caractère prophétique, mais en sens inverse par rapport à celui qu’avaient prévu ses inspirateurs. C’est l’annonce de la fin des systèmes de domination non représentative et, concrètement, la perte de sa légitimité «démocratique» par le système médiateur établi. La démocratie, en tant que catégorie typologique distincte, rejette totalement le principe de l’instauration de la politique en termes de pouvoir et, assurément, est incompatible avec la «société représentée», voire «médiatisée». Au même sens que la «société médiatisée» se situe aux antipodes de la représentation. À notre avis, cette problématique émerge, comme une perspective, de l’environnement de crise qui se dessine à la fin du XXe siècle et, dans ce cadre, de la dynamique de dépassement des systèmes médiateurs stricts.

En conclusion, la question, à notre époque, ne se limite pas à la nécessité de combler le fossé entre le pouvoir politique dominant (et ses acteurs) et la société. Ce projet, la corrélation ou la correspondance entre volonté politique et volonté sociale, continuera à n’avoir qu’une valeur théorique tant que le politique, en tant que processus décisionnel, résidera dans le pouvoir et les forces intermédiaires et que le corps social se situera essentiellement en dehors du système, dans la sphère privée. On pourrait même dire que cette problématique ne serait que rhétorique si le nouvel environnement communicationnel issu de la technologie de la technologie n’annonçait déjà la naissance des conditions matérielles pour la construction, dans le cadre de l’État territorial, d’une relation nouvelle entre société et politique, sous le signe de la représentation.

L’objectif de la transition politique préfigure, de toute façon, l’évolution future du système partisan, et plus précisément sa mutation d’institution de gestion du pouvoir politique en acteur fondamental des «discours délibératifs», c’est-à-dire de la «rhétorique» politique, sur le terrain d’une agora politique où l’acteur fondamental – et donc l’interlocuteur – de la politique serait non pas les forces intermédiaires mais la société politéiennement constituée (dèmos). Il annonce la société comme collectivité définissant le but de la politique et non pas la société-cliente.

Actuellement, l’intérêt de la partitocratie, pour ce qui est de la Grèce, réside dans la constatation de la dysharmonie entre son système politique «pré-politique» et, en tout cas, non représentatif, et le développement politique de la société. Dans la mesure où la société grecque s’est transformée en annexe de la modernité, l’objectif était pour elle le recul a-politique et non pas son accession à la grande échelle cosmosystémique, tout en conservant l’acquis démocratique de la petite échelle. En cela, la partitocratie se présente comme une spécificité hautement grecque qui, tant qu’elle s’incorpore au climat de la modernité, recule et tend à disparaître. Dans le même temps, les manifestations de la partitocratie, du moins sur le continent européen, ne sont qu’une manifestation transitoire bénigne du système politique, combinée à la logique du pouvoir politique médiatisé.


1 Ce texte a fait l’objet d’une communication de l’auteur au congrès «Positions anti-politiques et sentiments anti-partisans» organisé à l’Université Panteion d’Athènes en collaboration avec la Fondation Friedrich Ebert à Athènes les 23 et 24 novembre 1996. Il a été publié dans les Tetradia Politikis Epistimis [Cahiers de science politique], 4/2004.

2 Il va de soi que le principe majoritaire, comme tout autre principe politique, est soumis aux fluctuations de la conjoncture. En tant que principe démocratique, il a un rôle régulateur dans le cadre du processus de prise de décisions. Par conséquent, il se réfère à un objet concret, pour lequel l’ensemble, en l’occurrence l’assemblée du peuple, manifeste son intérêt à se prononcer. Dans le cadre de la démocratie, la fonction électorale du principe majoritaire se rapporte à des «autorités», c’est-à-dire des fonctions à compétence exécutoire ou administrative restreinte. Dans toutes les conditions quelles qu’elles soient, ces «autorités» – qui, naturellement, sont pour la plupart élues – sont collégiales, ont un mandat clairement défini et extrêmement limité dans le temps, sont à tout moment contrôlables par le mandant et, évidemment, révocables librement ou de manière illimitée. De plus, le principe majoritaire ne s’applique pas entre les membres du corps des représentants, qui doit décider à l’unanimité. Dans le système politique à pouvoir souverain , comme c’est le cas notamment du système médiateur ou, plus exactement, pré-représentatif, le principe majoritaire – c’est-à-dire la fonction du vote – a pour champ d’application exclusif la désignation, entre «monomaques», des agents de l’État. Cela signifie que, alors que l’avis prononcé – la majorité – est momentané et donc, comme toute tendance du corps électoral, soumis à des fluctuations continuelles, il est compris comme un mandat durable, que le «mandataire» peut même gérer librement. Il n’est soumis ni à contrôle ni à intervention corrective ni à révocation par le mandant. Les compétences de ce dernier sont définies de manière restrictive, de sorte à ne pas troubler la logique et l’environnement du pouvoir politique dominant. En ce sens, le principe majoritaire s’avère simplement régulateur de la rivalité politique et par conséquent, ne sert qu’à légitimer le possesseur et les options du pouvoir politique.

3 Les Chartes fondamentales n’ont en fait commencé à reconnaître l’existence du phénomène partisan qu’après la Seconde Guerre mondiale. En tout cas, le phénomène partisan, bien qu’étant virtuellement l’un des facteurs constitutifs du système politique, s’excepte lui-même de l’application du principe du régime. Le parti considère comme allant de soi qu’il puisse s’organiser et fonctionner sur la base des rapports de force, en son propre sein et face à la société, en étant, selon le cas, personnifié ou autoritaire ou en consistant en un club fermé d’intérêts, et malgré tout être conçu comme un élément déterminant du système politique. À juste titre d’ailleurs, puisque la logique même du système politique repose sur la fonction de synthèse des rapports de force au niveau du pouvoir. Cela explique aussi la raison pour laquelle le phénomène partisan peut agir de manière rédhibitoire pour toute une série de principes importants du régime (autonomie du député, droit d’élire et d’être élu du corps social, entité politique du citoyen, etc.), sans toutefois sensibiliser ses mécanismes de défense. L’exception du parti –et, plus largement, du personnel politique– du principe politéien et, par voie de conséquence, de la légitimité juridique même, désigne précisément l’élément dominant du régime. Dans le système médiateur, mais aussi, en un certain sens, dans le système pré-représentatif à pouvoir souverain, la classe politique et son acteur institutionnel, la force politique, sont placés au-dessus de la loi, alors que le citoyen, en tant qu’expression politique individuelle et collective, est quasiment le seul sujet de droit. En démocratie, au contraire, le citoyen, dans toutes ses manifestations, s’inscrit comme la composante dominante du système politique, tandis que la classe politique est placée, en tant que responsable, y compris même pour sa fonction «rhétorique», sous le parapluie juridique de la politeia.

4 Sur le dispositif politique de la modernité, voir H. Lefebvre, Introduction à la modernité, Paris, 1962. Maurice Barbier, La modernité politique, PUF, Paris, 2000. Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, 1995. S. Hall, D. Held, A. McGrew, La modernité aujourd’hui. Économie, société, politique, culture, Athènes, Savvalas (1992) 2003. Sur le concept de «société médiatisée» ou, selon une autre expression, de «société civile», voir Adam Seligman, The Idea of Civil Society, Free Press, Macmillan Inc. (USA), 1992. Ernst Gellner, La société civile et ses adversaires. Conditions de liberté, Athènes, Papazissis (1994) 1996. Antonis Makrydimitris, Κράτος και κοινωνία πολιτών [État et société civile ], Athènes, 2002.

5 G.Contogeorgis, «Bonne gouvernance et démocratie», F.Maron, I.Horga, R. de la Broche (éds), Médias et bonne gouvernance face aux enjeux de l’élargissement de l’Union Européenne, Bruxelles, 2005, pp.11-27.

6 Pour quelques problèmes interprétatifs importants de cette période, voir Guy Haarscher, Mario Telo (dir.), Après le communisme, Athènes, Papazissis (1993) 1997.

7 C’est en cela que la partitocratie diffère aussi du totalitarisme partisan, qui se rencontre dans les sociétés de l’Europe centrale de l’entre-deux-guerres. Au fond, le parti est investi, ici aussi, du rôle de système politique, mais la société, en l’occurrence, est absente et est envisagée comme une «masse» et non comme un facteur politique. Cette lacune fondamentale que, en Europe, on a cherché à dissimuler par l’introduction de la «société médiatisée» (ou société civile), explique cependant pourquoi, dans la société grecque, le phénomène totalitaire n’a pu prospérer. Voir à ce propos G. Contogeorgis, Le phénomène autoritaire. Essais d’interprétation, Athènes, Papazissis, 2003.

8 Voir plus en détail nos études : «La démocratie comme liberté», D. Damamme (dir.), La démocratie et l’Europe, Paris, L’Harmattan, 2004. «Identité nationale, identité politéienne et citoyenneté à l’époque de la ‘mondialisation’», Maria Manuela Tavares Ribeiro (dir.), Europa em Mutaçao : Cidadania, Identidades, Diversidade Cultural, Coimbra, 2003. «Démocratie et représentation. La problématique de la liberté et la typologie du politique», Anna Krasteva (dir.), Conflits, Confiance, Démocratie, Sofia, 2004. Voir aussi notre oyuvrage, Citoyen et État. Concept et typologie de la citoyenneté, Athènes, Papazissis, 2004.

9 Voir sur ce point R. Huard, La naissance du parti politique en France, Paris, Presses de Sciences po., 1996.

10 Sur ce point, voir G. Contogeorgis, op. cit.

11 Sur ces approches interprétatives de la société grecque, voir notre travail «La Grèce au XXe siècle. Société et politique», L. Vassis (dir.), La Grèce au tournant du siècle, Athènes, 2000. «La Grèce du politique » et « La Grèce moderne. Un paradigme national issu du cosmosystème hellénique», Pôle Sud, 18/2003.

12 En ce sens, la volonté propre de la modernité grecque d’attribuer la non-correspondance de l’État grec moderne avec les attentes de la société grecque, à la domination ottomane revient à avouer soit son impuissance à comprendre la nature des évolutions survenues au cours des derniers siècles, soit son intention de taire les conséquences capitales qu’a eues le mode de transition de la société grecque du cosmosystème anthropocentrique à petite échelle à son homologue à grande échelle. Voir à ce sujet notre ouvrage, Modernité et progrès, Athènes, Kaktos, 2000.

13 De même, le passage des sociétés européennes du despotisme à l’anthropocentrisme n’entraîne pas automatiquement la disparition totale de leur base despotique ni le vécu automatique d’une réalité post-primaire ou, autrement dit, d’une réalité anthropocentrique achevée. Sur la question de la typologie cosmosystémique de l’évolution anthropocentrique, voir G. Contogeorgis, « Prolégomènes à une aproche cosmosystémique du devenir historique, Dim. Koutras (dir.), Philosophie de l’histoire et de la civilisation, Athènes, 2003 ; du même, «La démocratie dans la société technologique», La Tribune des Sciences sociales, 23/1998, p. 5-26, et «La politique comme phénomène, St. Alexandropoulos (dir.), Perspectives des sciences sociales en Grèce, Rethymnon, 1999, p. 175-227.

14 G. Contogeorgis, «Moyens de communication et démocratie», L. Vassis (dir.), Moyens de communication et civilisation, Athènes, 2004.


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