24 juin 2015 | Par Georges
Contogeorgis
Le monde d'aujourd'hui traverse une période analogue à celle de l'époque de
la Sainte Alliance de l'absolutisme politique du XIXe siècle. À
cette époque, celle d'une grande coalition sous le leadership de
« Metternich », l'absolutisme politique européen avait pour but de
défendre l'Ancien Régime contre « l'émergence des peuples »
qu'exprimait le projet d'État nation.
Aujourd'hui, l'oligarchie économique des marchés s'est coalisée pour
défendre le système politique de monarchie élective avec un solide fondement
oligarchique – appelé par euphémisme démocratie représentative – afin
d'empêcher les peuples de se constituer en « sociétés des
citoyens » dans les systèmes politiques.
À l'époque de la Sainte Alliance, l'hellénisme a ouvert la question des
nationalités et de l'État nation, dès le congrès de Vienne avec Jean
Capodistrias et essentiellement avec sa Guerre d’indépendance de 1821, qui fut
la première révolution nationale dans l'histoire moderne. La société grecque
paya le prix de son « audace » à contester l'absolutisme et fut
condamnée à vivre dans un État protectorat destiné à neutraliser la dynamique
de son intégration nationale.
Aujourd'hui, la Grèce a ouvert un nouveau chapitre, celui de la
contestation du projet des « marchés » d'imposer leur hégémonie sur
les États et, à travers eux, de s'approprier leur finalité politique. Cela à un
moment où leur toute-puissance fait que la simple invocation de l'intérêt des
sociétés est considérée comme un projet politique extrémiste.
La société grecque, exposée à un système politique qui a servi à son
pillage par la particratie et les oligarques internes, achèvera de payer le
prix de son audace d'avoir contesté cette Sainte Alliance mondiale des
« marchés ». Comme d'avoir contesté la « Sainte Alliance »
de l'Europe politique qui entend transformer l'Union, espace relativement
équilibré d'États partenaires, en véhicule d'hégémonie sur les sociétés.
Quoi qu'il en soit, après la crise, la situation en Occident ne sera plus
comme avant. Parce que nous sommes déjà entrés dans une nouvelle phase de la
cosmo-histoire, destinée à sortir d'un monde – celui conçu à l'époque des
Lumières – qui n'est plus capable de soutenir le progrès. Le recul galopant des
acquis des sociétés va révéler dans un proche avenir que la crise est
profondément politique et se résume à un enfermement des sociétés dans des
systèmes et des valeurs ancrés dans le xviiie siècle, au moment où
des paramètres fondamentaux tels que l'économie et la communication sont, eux,
tournés vers l'avenir.
Or, la sortie des sociétés de l'impuissance politique n'est plus possible
que par la transition de l'ancien régime – le système actuel de la monarchie
élective/oligarchique – à un système représentatif. Un système où le
« peuple » se transforme en « société des citoyens »,
assumant au moins la fonction du mandant. Une telle transformation, le
passage d'une société privée à une société politique, annoncerait
l'installation de la société des citoyens dans le système politique et,
au-delà, l'établissement d'un partenariat avec la classe politique qui,
elle, sera réduite au rôle de simple mandataire, dans l'exercice du
gouvernement.
Dans ce cadre, la question de l'approfondissement de l'Europe politique
sera vite confrontée au dilemme suivant: renforcer le pouvoir des
institutions (telles que la Commission, la BCE, le Conseil, etc.) sans
toucher à leur légitimité quasi despotique qui réserve, en dernière analyse, au
complexe politico-économique la souveraineté politique sur les sociétés; ou
bien faire entrer les sociétés des citoyens européennes dans le système de
l'Union au titre de partenaire. J'entends par là que désormais, la simple
légitimation du personnel politique par l'électorat ne suffira plus pour
restaurer l'intérêt des sociétés comme finalité du système européen.
Cependant, même si, à mon avis, cette évolution est inéluctable à moyen
terme, elle se heurte à une question d’un autre ordre: les sociétés de notre
époque attendront-elles que les conditions mûrissent pour prendre en main leur
destin? Ce qui signifie : d’être confrontées à la misère sociale avec
comme seul débouché l'insurrection? Ou bien mobiliseront-elle la partie
cognitive de leur cerveau pour précipiter les événements? Cette hypothèse
passe inévitablement par une révolution dans le domaine des concepts
(qui définissent les phénomènes socioéconomiques et politiques fondamentaux)
afin que le monde qui se déclare du progrès se libère des certitudes (par
exemple, que nous vivons la démocratie) qui l’enferment dans un conservatisme
sans issue. C'est là, en fait, l'impasse dans laquelle nous nous trouvons
essentiellement en Europe.
Υποκλινομαι.
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