Τετάρτη 13 Οκτωβρίου 2010

Georges Contogeorgis La Grèce en politique. Questions d’approche et de méthode


Georges Contogeorgis


La Grèce en politique. Questions d’approche et de méthode1


(i) Le débat sur la Grèce ne soulèverait pas de problèmes particuliers si le but était la recherche de ses spécificités par rapport aux pays de la modernité. Ce qui fait son intérêt tout à fait à part, ce sont les présupposés gnoséologiques et méthodologiques qu’introduit le débat sur la nature de la société grecque. D’où la difficulté majeure à laquelle se heurte toute tentative de discerner son identité et de faire concorder la résultante d’une mise en regard comparative avec le reste du monde européen.

De fait, le problème que génère la non-réconciliation de la société grecque avec son passé est substantiellement lié au critère initial avec lequel concourt la notion de progrès. Ce n'est pas la question du développement du référent anthropocentrique qui est posée mais sa compatibilité avec le «modèle» européen. Ce dernier incarne par définition le progrès et par conséquent, c’est à lui qu’elle doit s’intégrer.

L’Europe constitue l’avant-garde de la tradition anthropocentrique à l’époque moderne : son schéma évolutif s’applique aussi aux autres régions de la planète. Mais cela ne répond pas à la question de la phase que représente cette évolution par rapport au devenir anthropocentrique global, ni du sens de l’évolution. En conséquence, cela ne permet pas la formation d’une opinion sur la nature anthropocentrique du «modèle».


(ii) Pour ce qui est du cas grec, ce choix crée un problème majeur, dont les effets touchent l’ensemble de la modernité en tant que concept et événement historique.

Le problème, avec la société grecque, consiste précisément dans le fait que le système sous lequel elle a vécu avant l’État nation non seulement ne correspond pas au paradigme européen typique – le passage du despotisme à l’anthropocentrisme – mais présente des caractéristiques qui contestent les bases mêmes, gnoséologiques et méthodologiques, de la modernité. Cette observation, bien qu’ayant en soi une importance capitale, nous intéresse ici surtout pour ses manifestations dans le cadre de l’État grec moderne.

À partir du moment où l’État nation grec s’est trouvé attelé au char de la modernité, il a dû classer le passé de la société hellénique de sorte à expliquer et même à légitimer cette option sous l’angle du progrès. Il a dû aussi justifier son impuissance à s’adapter aux attentes de la société et, pour le moins, à la conduire à l’intégration nationale.

L’inculcation du passé pré-ethnocentrique par la société grecque et ses résistances à la «modernisation» a été la constante qui a débarrassé l’État nation, de manière permanente, des fonctionnements politiques difformes et en tout cas inappropriés à sa nature.

Cette école de pensée admet néanmoins qu’effectivement, la société grecque n’a pas connu le régime de la féodalité qui coïncide au Moyen Âge européen occidental. Elle interprète notamment ce fait comme un accident de l’histoire, dans la mesure où ainsi, elle n’est pas passée par les phases correspondantes de la transition occidentale du despotisme (« privé » puis « étatique ») à l’anthropocentrisme que furent la Renaissance, la Réforme, la Contre-réforme, les Lumières, etc. Pour prouver le caractère «accidentel» de ce phénomène, il fallait à tout prix justifier l’hypothèse que Byzance avait été de nature féodale. Le parallélisme entre le passé grec et le «despotisme asiatique» a été clairement facilité tant par le virage de l’Europe occidentale vers « la Grèce antique » et la dévalorisation progressive de la période byzantine et post-byzantine dans le milieu ouest-européen, que par les fondements despotiques du pouvoir ottoman. En effet, pendant la domination ottomane, la Porte ne cessait d’invoquer comme source légitimatrice de son pouvoir la propriété du sultan sur la société.

Le résultat est que cette option interprétative ménage aussi bien les particularités du paradigme historique grec que les dysfonctionnements, en général, de l’État national. Par conséquent, la responsabilité ne se situe pas là. Le responsable de tout, c’est la « turcocratie », les résistances héréditaires de la société grecque qui, depuis deux siècles, insistent à empêcher l’État de la modernité de répondre à sa mission.

Il convient de noter que cette école de pensée, qui s’est édifiée en même temps que la fondation de l’État nation, conserve une position dominante de nos jours et se trouve en totale harmonie avec les opinions plus générales de la modernité concernant l’histoire et le monde actuel.


(iii) Aux antipodes de cette école, on rencontre le point de vue qui explique l’essence cosmosystémique particulière de l’hellénisme de la période pré-ethnocentrique.

Ce point de vue introduit trois hypothèses fondamentales qui nous intéressent ici :

(a) Le passé historique grec ne peut être interprété en termes ethnocentriques. L’hellénisme ne s’est pas constitué en tant que «Grèce» – en tant qu’État nation – mais comme un cosmosystème global dont l’élément distinctif, par rapport au despotisme jusqu’alors universellement présent, a été sa nature anthropocentrique. Ce cosmosystème anthropocentrique à petite échelle (avec pour base la cité) se transformera dans l’espace-temps, tant à l’intérieur de la cité (depuis les systèmes de pouvoir représentatif primaire jusqu’à la démocratie) que globalement, par son passage du statocentrisme à l’œcuméné post-statocentrique.

(b) Ce cosmosystème dans lequel, surtout après sa mutation œcuménique, se sont incorporées la plupart des ethnies, faisant jusqu’alors partie de sa «périphérie» despotique, au point de le déposséder souvent de son «hellénicité» (comme avec les Arabes), constituera la seule constante anthropocentrique jusqu’aux temps modernes. Son trait distinctif fondamental sera jusqu’au dernier moment la cité, et à l’intérieur de celle-ci, les régimes politiques déjà générés par la période statocentrique : la démocratie, l’oligarchie, la représentation et à la limite, certaines structures de pouvoir semi-despotiques. Dans le même temps, les paramètres répertoriés comme inhérents à la physionomie anthropocentrique du cosmosystème (l’économie «chrématistique», etc.) continueront à soutenir des formes de liberté qui conviennent à une nature anthropocentrique achevée, sinon adaptées aux conditions nouvelles de l’œcuméné.

(c) Ce même point de vue soutient qu’entre le cosmosystème hellénique ou anthropocentrique à petite échelle et la transition anthropocentrique du monde européen, il y a une connexité organique. Si l’Europe a abouti à l’anthropocentrisme, elle le doit littéralement à sa réincorporation dans la zone du cosmosystème grec, Italie en tête.


En ce sens, Byzance non seulement n’est plus classifié comme un despotisme de type asiatique mais est considéré comme l’achèvement, à de nombreux points de vue, du cosmosystème hellénique et comme le catalyseur de la transmission de ses paramètres en Europe occidentale et chez les Slaves.

Il est nécessaire de faire ici une remarque : l’incorporation de la péninsule italienne eut lieu de manière directe dans la cosmopoliteia byzantine, et c’est pour cela qu’elle fut réalisée par l’implantation du système des cités, qui devait saper la féodalité. L’espace européen au-delà des Alpes fut incorporé dans l’œkouméné anthropocentrique hellénique à titre de «périphérie». Cela eut pour conséquence que le système des cités (et des autres paramètres institutionnels du cosmosystème grec) ne s’installa pas en tant que composante politéienne dominante. Il se développa comme partie du fief, qui conserva, pour l’essentiel, le contrôle politique de son espace. Ainsi, bien qu’ayant fonctionné comme catalyseur dans le travail de sape de la féodalité et pour l’évolution anthropocentrique ultérieure de ses sociétés, la cité fut elle-même transformée en même temps de «commun» (koino) en «commune» (koinotèta), c’est-à-dire de déterminant politéien du système en institution interne du fief. Cette observation explique à la fois la cause originelle de la construction en Europe occidentale de la grande échelle anthropocentrique et la différence spécifique du système des cités dans l’espace vital grec.

La domination ottomane traduit le compromis historique entre la référence légitimatrice despotique du pouvoir central et le cosmosystème hellénique, qui conserva intacts ses fondements jusqu’à la fin. La Porte non seulement ne le détruisit pas mais lui accorda même un terrain tout à fait favorable à la réalisation d’un nouveau départ de plusieurs points de vue, avec la cité pour véhicule. On ignore peut-être que tant le projet de palingénésie «nationale» de Rigas Pheraios à la fin du xviiie siècle que les Constitutions de la Guerre d’Indépendance (1821-1828) furent dictés par l’acquis anthropocentrique de l’œkouméné grecque. Ils n’étaient inspirés ni par le despotisme étatique qui dominait l’Europe de l’époque ni par le dispositif de l’État nation. D’où leur nature profondément démocratique.


(iv) Ainsi l’État nation grec eut-il pour prédécesseur l’espace anthropocentrique hellénique configurée sur le mode cosmosystémique : les cités de constitution politéienne pluraliste (selon le cas démocratique, etc.), le principe de l’auto-institutionnalisation politéienne de la différence (culturelle, etc.), la propriété individuelle, l’organisation partenariale de la relation du travail et du capital qui exclut la dépendance et assure la liberté sociale, une classe bourgeoise puissante dotée de caractéristiques purement œcuméniques et non pas ethnocentriques…

En Grèce, l’État nation se dressera contre cet espace-là et non contre la féodalité. Cette opposition révèle non pas un conflit inter-cosmosystémique – comme dans le cas européen entre despotisme et anthropocentrisme – mais une rivalité intra-cosmosystémique : un projet de société, celui qu’incarna l’État nation, qui exprime une époque à peine primaire – c’est-à-dire en phase de proto-constitution anthropocentrique – se trouve confronté à un monde qui, en dépit de toutes les pressions exercées par un environnement despotique, vit sa dernière phase, du point de vue de l’évolution anthropocentrique.

Le fait que ce sont les relations de force et non pas l’essence anthropocentrique qui détermineront le contenu axiologique de la comparaison n’affaiblit pas le bien-fondé du constat. Un point de départ axiologique différent – celui de l’intégration anthropocentrique – qui mènerait à la comparaison de la cité œcuménique avec son homologue à la grande échelle, l’État national, susciterait peut-être des déductions inconfortables au sein de la modernité. C’est pourquoi le fait d’égaler le système de la cité à la «commune» (koinotèta) ou à l’administration locale, et, au-delà, d’élever le despotisme central ottoman en système universel caractéristique de la société grecque ont été totalement libérateurs.

En tout cas, l’État nation, après l’abolition du système des cités, eut à faire face aux mentalités et aux comportements héréditaires de la société grecque, une société différente de celle à laquelle cet État était destiné. Cette particularité de la société grecque créa un terrain différent de fonctionnement politique de l’État, un but différent de la politique, une approche différente du concept d’espace public, en somme, une relation différente entre le corps social et la politique. Le fait d’attribuer a priori l’inefficacité opérationnelle de l’État et de la classe politique à la spécificité héréditaire de la société grecque et non pas à l’incompatibilité de l’État avec le caractère de surdéveloppement politique du citoyen, ou l’adhésion univoque de la nation au devenir de l’État grec moderne, ne sont que quelques manifestations de cette réalité. Manifestations qui s’inscrivent en général dans une problématique intéressante, qui tendrait à classer la régression (par exemple, l’imposition de la monarchie absolue ou du despotisme) parmi le progrès et à présenter des conquêtes anthropocentriques capitales (le suffrage universel, la représentation complète, la politisation individualiste et bien d’autres) comme tautologie du retard. En somme, le surdéveloppement politique, faute de se rencontrer comme trait distinctif de la modernité, est une présomption de sous-développement et d’immaturité de la société grecque…

Cependant, la question, pour ce qui concerne de nos jours cette problématique, n’est pas qu’elle insiste sur sa «ligne», bien que la modernité elle-même, entre temps, semble la démentir en «adhérant» aux particularités de la société grecque. Il est que, en classant le cas grec à la «périphérie» et en poussant son argument à l’extrême, en le comparant à l’Amérique latine, il prive la modernité d’un paradigme original et, au fond, de ses origines.

Par conséquent, la question que soulève la problématique de la nature de la société grecque et plus généralement de l’hellénisme historique ne concerne pas la justification d’une école de pensée ou d’une autre. Bien moins encore, elle ne se situe pas dans la justification de la société grecque elle-même ou dans le retour au cosmosystème anthropocentrique à petite échelle. L’intérêt de cette problématique, nous devons le focaliser exclusivement sur le noyau de l’argument, à savoir que nous nous trouvons en face d’un phénomène qui, en raison de son historicité, est unique et qui s’offre de par sa nature comme un paradigme alternatif pour une reconstitution radicale de la réflexion et des outils méthodologiques de la modernité pour ce qui regarde tant l’histoire que notre époque et au-delà, l’avenir du monde moderne.

Ce numéro, en présentant certains aspects fondamentaux de ces deux approches interprétatives du cas grec, laisse au lecteur le champ libre dans sa lecture critique et dans son choix2.


1 In Pôle Sud, 18/2003

2Notes


Sur la relation entre «religion et politique» en Grèce, voir le numéro de Pôle Sud (n° 17, novembre 2002). Pour «la science politique en Grèce», voir le volume spécial de «EPSNET» [European Political Science Network (www.epsnet.org)], La science politique en Europe (Grèce), Paris 1996.

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